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nous nommons des forces, il nous révèle une énergie immanente et éternelle ; il est à la fois actif et passif, soumis à des révolutions perpétuelles qui maintiennent toutes choses dans un équilibre toujours mobile. Une des plus belles synthèses des temps modernes, celle qui restera peut-être comme la plus remarquable découverte du XIXe siècle, si riche pourtant en découvertes, c’est le principe connu sous le nom de la corrélation des forces naturelles[1]. Autrefois on expliquait les phénomènes électriques par un fluide électrique, les phénomènes lumineux par un fluide lumineux, etc. De nos jours, on a montré que tous ces phénomènes étant de simples mouvemens atomiques, ils peuvent se convertir les uns dans les autres, comme on voit par exemple le mouvement circulaire d’une roue hydraulique se convertir en mouvement rectiligne dans la scie qui débite des bois, ou la descente d’un poids se convertir en mouvement circulaire dans l’aiguille d’une horloge. On a été plus loin encore : non-seulement les mouvemens invisibles qui produisent chaleur, électricité, magnétisme, peuvent se métamorphoser les uns dans les autres, mais encore les mouvemens des atomes qui composent une masse peuvent être convertis en un mouvement de cette masse, et réciproquement une masse ne peut changer son mouvement sans que les parties infiniment petites qui la constituent ne s’en ressentent et ne modifient leurs invisibles orbites. Une certaine quantité de force vive peut se métamorphoser suivant des règles constantes en chaleur, en électricité, en magnétisme, ou produire le simple déplacement de masses corporelles. Il est permis aujourd’hui de considérer tous les phénomènes physiques comme les manifestations variées de l’énergie dynamique répandue dans le monde entier. Cette grande, cette merveilleuse conception donne je ne sais quelle unité puissante au drame universel : non-seulement elle coordonne toutes les parties de la création, mais elle enlace dans les mêmes liens le passé, le présent et l’avenir.

Pourtant, comme toutes les idées fondamentales de la science, l’idée de la force, après nous avoir soutenus sur l’océan mobile des apparences, vient échouer devant d’inaccessibles mystères. Nous ne pouvons concevoir les phénomènes matériels sans des actions, des réactions, des variations, des mouvemens ; nous attribuons tout mouvement à une cause que nous appelons force, nous sommes arrivés à transformer les forces les unes dans les autres, ou, pour mieux

  1. Voyez, sur la démonstration de ce principe, la Revue du 1er septembre 1858. On y trouvera la description de l’ingénieuse expérience par laquelle un savant physicien, M. Grove, obtenait a Londres dès 1843 de la lumière seule la production de toutes les forces naturelles, — électricité, chaleur, mouvement, magnétisme, — et en révélait ainsi l’intime connexité.