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second lieu, bien que très sincère en sa foi dans la grande vérité qu’elle avait mission de défendre, elle s’est montrée souvent peu sincère et par conséquent irréligieuse en maintenant les doctrines insoutenables qui ont obscurci cette grande vérité. Toutes les assertions relatives à la nature, aux actes, aux motifs de cette puissance dont l’univers est la manifestation, ont été souvent contestées, et on en a démontré les inconséquences et les contradictions. Et pourtant d’âge en âge on les a défendues avec insistance, bien qu’on eût secrètement la conscience qu’elles ne pouvaient soutenir l’examen. Comme si elle ignorait que sa position centrale était inexpugnable, la religion a obstinément défendu tous ses postes avancés longtemps après qu’ils étaient visiblement devenus intenables. »


Toute affirmation, toute limitation, toute spécification des choses idéales seraient — en ce sens — irréligieuses ! Notre curiosité indiscrète ne devrait même pas chercher à soulever un coin des voiles qui recouvrent le divin ! Nous devons l’adorer sans le comprendre ni le définir, sans nous enquérir témérairement de ses attributs ! M. Spencer va jusqu’à condamner, comme irréligieuse, toute discussion sur la personnalité divine. « Pourquoi, dit-il, veut-on me placer dans cette alternative de choisir entre la personnalité et quelque chose de plus bas que la personnalité, quand le choix est sans doute entre la personnalité et quelque chose de plus élevé ? N’est-il pas possible qu’il y ait un mode de l’être qui dépasse l’intelligence et la volonté autant que celles-ci dépassent le mouvement mécanique ? Il est bien vrai que nous n’avons aucun moyen de concevoir ce mode d’existence supérieure ; mais ce n’est pas là une raison pour le nier, bien au contraire. »

Le dernier mot des religions serait ainsi le mystère. Ce qui est leur faiblesse est en même temps leur force : elles s’élèvent en s’humiliant ; elles s’enrichissent, selon le penseur anglais, en abandonnant ce qu’elles considèrent souvent comme leurs plus précieux trésors. Une religion pure, dégagée des nœuds qui gênent son libre essor vers l’infini, vers l’inconnu, n’aurait rien à craindre de la science, car le dernier mot de la science est aussi le mystère ; seulement la science recule sans cesse les barrières au-delà desquelles commence pour elle l’inconnu : c’est un cercle dont le rayon croît sans cesse, mais qui ne pourra jamais embrasser toute l’étendue.

Dans l’analyse des idées-mères qui servent de fondement et comme de texture à toutes les conceptions scientifiques, M. Spencer se montre logicien encore plus impitoyable que dans la critique des formules religieuses et métaphysiques. Il prend l’un après l’autre ces mots, matière, mouvement, force, etc., et démontre l’inanité des efforts de l’intelligence humaine appliquée à les définir. La science échafaude des constructions gigantesques sur une base où il ne lui