Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/930

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

collines que la brise caresse en passant. Dans cette vallée, l’eau se précipite en ondes cristallines et serpente sous les fleurs de pourpre. À l’extrémité de cet Éden verdoyant, l’illustre Popayan lève son front…

« Et plus loin, comme un géant immortel, se dresse le Puracé sublime. Parfois, blanc de neige, étincelant de lumière, il repose en silence sur ses larges flancs ; parfois aussi, environné de nuées, il gronde en fureur et lance le feu qui mugit en ses cavernes ; dans ses efforts, il fait trembler le sol ou bien incendie de ses flammes toute l’étendue du ciel…

« Au sud, le terrain se hérisse en montagnes. Entre les rochers se balancent au vent les cannes sauvages, et la chaleur fait naître des plantes funestes qui distillent le poison comme la vipère ; le torrent mugit au fond de l’étroite gorge qu’il s’est taillée lui-même pendant le cours des siècles.

« Dans les forêts amoureuses qui descendent jusqu’au bord de l’eau caressante ou qui tapissent les pentes escarpées des rochers pittoresques, les arbres de chaque zone entrelacent leur branchage. Ils croissent ensemble, ensemble ils produisent leurs fleurs et mûrissent leurs fruits.

« Telle est la terre. Parfois le ciel perd son azur et se couvre de nuages. Alors, grosse d’éclairs, la foudre grondante parcourt l’horizon. Bouleversé par les décharges électriques, l’air fait jaillir des ouragans de son sein, la pluie tombe, les forêts craquent, le soleil s’éclipse, et les champs sont inondés.

« La noire tourmente obscurcit l’espace, elle assourdit le monde par son fracas, et la voûte du ciel tremble sous les éclairs qui traversent sa courbe immense ; mais bientôt le soleil reparaît, la foule confuse des nuées s’enfuit en toute hâte, sous la lumière pacifique et tranquille aucune fleur ne s’agite, aucun souffle d’air ne respire… »


L’amour que ressent Arboleda pour la grande patrie américaine, l’ardente foi qui l’anime, se retrouvent dans les œuvres de tous les écrivains de la Colombie, économistes, dramaturges, poètes. Loin de s’abandonner au découragement ou au désespoir à la vue des maux qui affligent les diverses républiques du Nouveau-Monde, ils s’élèvent résolument au-dessus des tristes réalités du présent pour rêver un glorieux avenir, et ce sont peut-être ceux qui souffrent le plus qui sont aussi le plus remplis d’espérance. Les prisonniers, les bannis, les condamnés à mort, ne cessent de chanter la grandeur de leur patrie. Mármol, exilé, fuyant sur un navire qui va s’égarer dans les glaces du pôle austral, célèbre ainsi dans ses beaux Cantos del Peregrino la gloire à venir des républiques colombiennes :


« L’Amérique est la vierge qui chante sur le monde, annonçant aux peuples leur future liberté ; sur son jeune front commence à briller l’étoile qui demain nous éblouira de sa radieuse lumière. L’Europe déchue n’a plus à compter sur les siècles futurs ;… elle a vidé la coupe de ses destinées et s’est affaissée dans l’ivresse de sa gloire et de sa puissance.

« Les trônes sont chancelans et le sceptre échappe aux mains des rois ; les peuples demandent des ailes, mais on leur cloue les pieds ; les penseurs cherchent des yeux l’oriflamme de l’avenir et ne trouvent plus que les haillons