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défaut, il avait subi la peine réservée aux traîtres. Un de ses complices, Alvaro de Oyon, réfugié à Popayan, sur un plateau des Andes grenadines, prépare une nouvelle insurrection. Il noue des relations secrètes avec tous les Espagnols que la gloire et la fortune n’ont pas servis à souhait ; il se ligue avec les Indiens sauvages des montagnes et s’associe au pirate anglais Walter. À ce dernier il promet l’empire de l’océan, mais il se réserve la terre ; il posera sur son front la couronne des Incas, en ajoutant à leur royaume toutes les contrées soumises par les armes de l’Espagne. Tels sont les vastes projets de l’ami des Pizarre, et peut-être réussiraient-ils, si le propre frère d’Alvaro, Gonzalo de Oyon, n’intervenait comme le défenseur de l’ordre et du souverain légitime.

Arboleda, chef du parti conservateur de la Nouvelle-Grenade, était certainement dans son rôle lorsqu’il choisissait cet épisode de l’histoire coloniale pour sujet de sa légende. Descendant des premiers colons établis dans la contrée, il pouvait sans doute considérer comme bonne la cause de ces vainqueurs espagnols qui ravageaient la terre des Indiens pour la conquérir ; il pouvait adresser les premiers vers de son poème à la muse de la foi et lui consacrer tout un chant dans lequel il se livre à des amplifications théologiques ; mais, quand on évoque le souvenir des crimes effroyables que les interprètes de cette même foi commettaient dans le Nouveau-Monde, on hésite à suivre l’auteur et à partager ses sympathies. Quel intérêt peut-on éprouver pour cet empire espagnol dont la seule légitimité était fondée sur l’égorgement ou l’asservissement des Indiens, et qui n’avait d’autre garantie de durée que la continuation d’une implacable tyrannie ? L’esprit se demande avec une certaine anxiété quel est le véritable héros, du sombre Alvaro, qui cherche à soulever les Indiens vaincus, ou du gracieux Gonzalo, qui se fait le champion des vainqueurs espagnols ? Tel est le grave défaut du poème. Heureusement une troisième personne ramène sur elle-même l’intérêt qui aurait pu se diviser entre les frères ennemis. Cette personne n’est autre que l’Amérique ; c’est elle dont la pensée anime Arboleda lorsqu’il décrit les paysages des Andes, les peuplades indiennes, la société naissante des créoles ; c’est à elle qu’il adresse ses paroles les plus émues, c’est pour elle qu’il imagine les scènes les plus grandioses. Aucune exagération ne dépare cette œuvre profondément sentie ; le vers est harmonieux et pur, l’image est simple, l’émotion est vibrante et contenue, la phrase est aussi noble et ferme que la pensée. Quelques strophes du poème d’Arboleda méritent d’être citées comme le remarquable exemple d’une description unissant le charme de la poésie à la vérité de la science.

« Il est une heureuse vallée, ses terres ondulent en longues et molles