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et Miguel de Pombo, avaient été passés par les armes sur la place publique de Bogota ; son cousin Ulloa avait subi le même sort ; d’autres parens étaient tombés sur les champs de bataille ; une de ses tantes, plutôt que de se rendre aux Espagnols, s’était laissée mourir de faim. Tous ces faits, racontés par une mère héroïque, développèrent dans le cœur du jeune Arboleda cet ardent amour de la liberté qui fut le mobile de toutes ses actions. Devenu homme et chef de parti, Arboleda se trompa souvent, il vacilla parfois dans ses opinions et ne sut pas toujours rendre justice à celles des autres ; mais sa passion du bien et sa grandeur d’âme ne se démentirent jamais.

Ce fut une étrange vie que la sienne. Tout jeune encore, il entre dans la carrière politique, et remplit auprès des gouvernemens étrangers des missions du succès desquelles dépend la paix ou la guerre ; puis, après de nombreux voyages, retiré dans son domaine, il s’adonne à l’agriculture et à l’exploitation de ses forêts de cinchonas, Arraché à la paix des campagnes, il est nommé représentant, et charme les Bogotains par son éloquence. Une révolution éclate, il est jeté en prison. À peine délivré, il est assiégé dans sa propre demeure. Il s’enfuit, revient à la tête d’une armée, mais pour être vaincu et condamné à mort. Un revirement de fortune le ramène en triomphateur dans sa patrie, qu’il avait quittée en misérable fugitif ; puis un coup d’état militaire disperse le congrès, et Arboleda se trouve à la tête d’une armée, tantôt pour lutter en plein jour sur les champs de bataille, tantôt pour se glisser la nuit à travers les bois et surprendre ses ennemis. Il remporte la victoire, et ses concitoyens le nomment président du sénat. Aussi, lorsque son ami Mallarino, qui, lui aussi, avait connu les mauvais jours de l’exil, vint, en sa qualité de vice-président de la république, jurer fidélité à la constitution entre les mains d’Arboleda, personne mieux que ce dernier ne pouvait prononcer les paroles suivantes : « Singulières sont les vicissitudes du sort ! Il y a peu de jours, nous étions bannis et affligés ; nous nous tenions par la main, et tous les deux, étendus sur les sables brûlans et stériles d’un pays étranger, nous rêvions aux verdoyantes plages de la Nouvelle-Grenade. À présent il m’incombe de présider la première et la plus respectable corporation de ma patrie et de vous inviter à vous asseoir sur le fauteuil de la première magistrature ; mais ne vous étonnez point de cet éclair de bonheur, — si nos fonctions peuvent être appelées un bonheur, — car chez cette nation vaillante et orgueilleuse il est aussi facile de passer de l’exil au pouvoir que du pouvoir à la barre du sénat. » Ainsi qu’Arboleda le prévoyait, il ne jouit pas longtemps des honneurs, et dut se replonger dans la guerre civile, ayant pour adversaire principal un de ses parens, Joaquin Mosquera. Après une succession de triomphes et de revers, il fut assassiné le 12 novembre