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avaient les mêmes préjugés, les mêmes habitudes à l’égard des aborigènes : on eût dit qu’un niveau avait passé sur tous les esprits, tant les colons du Mexique ressemblaient à ceux de Buenos-Ayres et du Chili ; mais depuis la guerre de l’indépendance et le fractionnement de l’Amérique espagnole en nombreuses républiques, les divergences qui tendaient à se produire se sont graduellement accusées. Les populations, qui vivaient autrefois d’une vie machinale, se sont développées avec plus ou moins de liberté dans le sens que leur indiquaient la nature et l’histoire. Chaque nation a suivi sa carrière, chacune s’est distinguée par des institutions et des industries spéciales, chacune a produit sa littérature propre. Il est vrai que, par un contraste naturel, tous les peuples hispano-américains, aujourd’hui plus distincts les uns des autres que ne l’étaient sous l’ancien régime les sociétés éparses des créoles, ont aussi des intérêts de plus en plus solidaires, et reconnaissent chaque année davantage l’impérieuse nécessité de mettre un terme à leurs discordes, de se grouper et de s’unir d’une manière plus intime. On peut même dire que les diverses communautés de l’Amérique méridionale éprouvent d’autant plus le besoin de se rapprocher qu’elles se développent plus énergiquement dans leur voie particulière et tendent à se constituer en véritables nations. Le désir qu’elles ont de s’associer augmente en proportion de leur force. Déjà ce rapprochement des républiques colombiennes, que tous les patriotes, et Bolivar le premier, ont donné pour but principal à leurs travaux, est beaucoup plus avancé qu’on ne serait tenté de le croire au spectacle des guerres civiles qui désolent encore une grande partie du continent. L’union est consommée, sinon dans les faits, du moins dans les œuvres des écrivains, ces hommes qui ont pour mission de précéder les peuples et de leur frayer la voie. Les Hispano-Américains du nord et du sud se glorifient d’être les fils du même sol ; ils réclament comme une propriété commune les noms les plus illustres de leur histoire ; enfin ils savent tous ou pressentent du moins que leurs petites patries ne formeront un jour qu’une seule et grande république.

Tant qu’il n’existera pas pour la littérature de l’Amérique espagnole une encyclopédie complète, semblable à celle que M. Tórres Caicedo vient d’ébaucher dans ses Ensayos biograficos, il sera difficile de fixer avec une équité parfaite la part qui revient à chacune des républiques dans l’œuvre générale. Néanmoins il suffit d’avoir étudié rapidement l’histoire littéraire de ces diverses contrées pour comprendre quels sont les traits distinctifs de leur génie particulier, et quelle est sur ce génie l’influence de toutes les circonstances extérieures qu’on appelle le milieu. C’est là ce que nous allons tâcher d’indiquer brièvement.