Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à peine leur continent si beau, leur nature admirable, ils cherchèrent à se figurer les campagnes gracieuses, le relief modéré, la végétation contenue de nos pays de brumes et de froidure.

C’est à la France surtout que revint l’honneur d’initier les peuples colombiens dans ce monde sans bornes des arts et des sciences, naguère encore presque fermé pour eux. Ils parlaient, il est vrai, la même langue que les Espagnols, mais ils gardaient rancune à la mère-patrie à cause des trois siècles d’oppression et des vingt années de guerre qu’elle leur avait fait subir ; d’ailleurs les relations avec la péninsule ibérique étaient devenues très rares, et des années entières se passaient avant qu’un seul navire espagnol se présentât dans les grands ports de l’Amérique, dont les négocians de Séville et de Cadix avaient eu jadis le monopole. La littérature castillane avait aussi le double désavantage d’être moins riche et plus connue que celle du reste de l’Europe : elle n’avait pas l’attrait mystérieux de tout ce qui est nouveau. L’Angleterre se présentait avec le prestige que lui donnaient les œuvres de ses poètes, les recherches de ses savans, et surtout l’appui efficace fourni par ses capitaux et son commerce aux républiques colombiennes ; mais durant les premières années qui suivirent l’indépendance des colonies la langue anglaise n’était comprise que d’un petit nombre de créoles, et ceux-là mêmes n’étaient pas complètement libres des préjugés ridicules et barbares qui rendaient la masse de la population américaine hostile aux hérétiques. C’est vers la France que regardaient tous les peuples affranchis, depuis le Mexique jusqu’à la Plata ; c’est à ses principes, vaguement compris, qu’ils se sentaient redevables de leur émancipation, c’est à ses idées qu’ils demandaient le maintien de leurs libertés, c’est dans les ouvrages de ses grands hommes qu’ils cherchaient la civilisation moderne tout entière. La plupart des livres importés d’Europe étaient des livres français, et maintenant encore ce sont les œuvres de nos grands écrivains qui forment la partie la plus considérable et la plus appréciée de toute bibliothèque colombienne. Je n’ai pas besoin de dire quelle émotion joyeuse éprouve le voyageur français lorsque dans quelque maisonnette d’un village éloigné de tout chemin il retrouve des ouvrages aimés, que des Indiens à demi sauvages ont dû porter, tome après tome, à travers les torrens et les forêts vierges.

Dans les premières années d’enivrement et même jusqu’à une époque assez rapprochée de nous, nombre de poètes colombiens semblaient n’avoir d’autre ambition que de se faire les échos des poètes français. Simples rimeurs et vrais artistes imitaient à l’envi dans la mesure de leurs forces. De leur continent lointain, ils prenaient avidement part aux émotions et aux engouemens littéraires