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Eso te sucedo
Por (ser) enamorado[1]
Aun entre las flores
Se suele observar
Tributar fragrancia
À quien sabe amar.[2]

Enfin l’oppression des créoles eut un terme. Les cortès espagnoles consentirent à recevoir dans leur sein un petit nombre de députés colombiens ; puis l’invasion de la péninsule ibérique par les armées françaises suspendit les relations entre les colonies et la métropole ; les diverses provinces de l’Amérique méridionale profitèrent de ce moment de répit pour apprendre à se gouverner elles-mêmes, et bientôt la révolution éclatait à quelques années d’intervalle à Buenos-Ayres, à Quito, dans la Nouvelle-Grenade, au Mexique, au Pérou : de tous les côtés jaillissait l’incendie couvant dans le sol. La guerre dura de longues années ; mais les Colombiens la soutinrent avec un courage héroïque, une inflexible persévérance qui ont couvert de gloire ce premier âge de leur vie indépendante. La libération des peuples de tout un continent par des hommes tels que Bolivar, Santander, Sucre, Morales, O’Higgins, est une épopée bien autrement grande que ne l’avait été l’asservissement de l’Amérique par les conquérans espagnols ; mais elle n’a pas encore été racontée par un écrivain digne de la comprendre. Ceux qui voudront aborder cette grande œuvre historique auront à lutter contre des difficultés particulières à cause de l’immensité du théâtre et du petit nombre des acteurs ; sans perdre de vue les personnages du drame, ils auront à parcourir la vaste scène, deux fois plus grande que l’Europe, qui s’étend des mers glacées du cap Horn aux arides déserts de la Sonora et du Nouveau-Mexique ; il leur faudra passer incessamment d’un point à un autre et signaler d’innombrables faits de détail, tout en sachant maintenir l’harmonie de l’ensemble. C’est là une œuvre qui, dans son genre, ne demande pas moins de génie que n’en a demandé la délivrance même du pays. Peut-être un des héros de la grande guerre de l’indépendance eût-il pu la raconter lui-même ; mais à cette époque on agissait, on n’écrivait pas.

Par la conquête de leur indépendance, les Hispano-Américains supprimaient les barrières qui les avaient empêchés jusque-là d’entrer dans le concert des nations civilisées. Les restrictions commerciales qui avaient fait de tout le continent sud-américain la propriété

  1. « Petit oiseau vert, ta poitrine est rouge : c’est parce que tu es amoureux. »
  2. « Même parmi les fleurs, le parfum est à celle qui sait aimer. »
    Ces yaravis ont été rapportés du Pérou par un voyageur français, M. Berthon.