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et des Fijiens[1]. On a vu déjà combien les premiers étaient de hardis navigateurs ; quelqu’une de leurs flottes, égarée par une tempête, a-t-elle été poussée jusque dans ces parages ? La race mélanaisienne proprement dite a-t-elle été poussée jusque-là sans peupler les grandes îles intermédiaires ? L’élément nègres chassé de Tahiti, a-t-il été forcé de chercher un asile sur les îles madréporiques ? Telles sont les questions auxquelles la linguistique répondra peut-être quelque jour.

Si la Micronésie a envoyé quelques-uns de ses enfans jusqu’au cœur de la Polynésie, celle-ci le lui a sans doute rendu à diverses reprises. Les détails donnés par divers voyageurs sur certaines localités permettaient de regarder ce fait comme plus que probable : les observations de M. Hale l’ont mis hors de doute pour le groupe entier des Kingsmill, qui ne compte pas moins de 85,000 habitans, répartis sur dix-sept îles[2]. Ici la simplicité même des traditions recueillies par deux Européens qui avaient séjourné pendant plusieurs années parmi les insulaires en atteste l’exactitude. Ce n’est plus de la légende, c’est de l’histoire, et cette histoire est intéressante et instructive à plus d’un titre, précisément parce qu’elle embrasse un champ peu étendu, sur lequel se reproduisent quelques-uns des faits qui ont dû se passer plus en grand dans l’ensemble du monde maritime dont nous cherchons à éclaircir les annales.

Les premiers habitans du groupe dont il s’agit vinrent de l’île Banabé[3], située à 14 ou 1,500 kilomètres au nord-ouest de Tarawa[4]. À la suite d’une guerre civile, ils avaient été forcés de fuir, et montaient deux canots. Ils en étaient encore à leurs premiers essais décolonisation, lorsque deux autres canots arrivèrent d’une île située au sud-est et nommée Amoï[5]. Les derniers venus étaient d’un teint plus clair et plus beau que les Banabéens ; ils parlaient aussi une autre langue. Pendant quelque temps, les deux races vécurent en bonne intelligence ; mais les Banabéens, séduits par les charmes des femmes de leurs voisins, cherchèrent à les enlever, et il s’ensuivit une guerre qui se termina par le massacre de tous les hommes de race amoïe. Les femmes, bien entendu, furent soigneusement épargnées. La population actuelle descend tout entière des unions mixtes qui suivirent ces événemens. Cette population s’éten-

  1. D’après M. Hale.
  2. Les Kingsmill font partie du grand archipel de Gilbert, figuré sur toutes les cartes, et sont placées vers l’extrémité sud-est de la Micronésie.
  3. Appelée aussi île Pouynipet, île de l’Ascension, etc. C’est une des îles les plus considérables de l’archipel des Carolines.
  4. Une des principales lies du groupe des Kingsmill. M. Hale propose même de désigner l’archipel entier par ce nom.
  5. C’est le nom de Samoa, modifié par le dialecte local. (Hale.)