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où le dieu Oro tenait sa cour et avait fondé la société des aréoïs, et ce lieu s’était appelé autrefois Havaii : dans l’archipel de Samoa se trouve une île Savaï ; enfin nous avons vu les Néo-Zélandais reporter leur origine première à Hawaïki[1]. Sans être philologue, il est difficile de ne pas être frappé de l’analogie de tous ces noms ; mais ces ressemblances frappèrent d’autant plus M. Hale que ses connaissances linguistiques lui montraient sous ces formes diverses le même mot modifié conformément aux règles générales qui distinguent les dialectes polynésiens. Il fut ainsi amené à penser que cette dénomination fondamentalement identique appliquée à des localités si différentes, si éloignées, attestait le souvenir d’un point d’origine commun à la race entière et dont le nom reparaissait dans les diverses colonies fondées par cette race.

Déjà l’auteur des Recherches sur la Polynésie, Ellis, se fondant sur les traditions tahitiennes au sujet du Havaii de Raïatéa, avait cru trouver ce point d’origine dans les îles Hawaii, c’est-à-dire aux Sandwich ; mais un document incontestable, la carte de Tupaïa, ne permet pas d’adopter cette opinion. Cette carte retrace évidemment l’état des connaissances géographiques les plus avancées chez les habitans de Tahiti. Or les Sandwich n’y figurent pas. En revanche on y trouve au milieu d’un groupe facile à reconnaître pour notre archipel Samoa une île dont Forster écrit le nom Oheavai. C’est évidemment l’île Savaï de nos cartes[2]. Cette île est représentée comme étant cinq ou six fois plus étendue qu’aucune autre, et Tupaïa ajoutait qu’elle est plus grande que Tahiti. C’est une erreur, mais une erreur qui s’explique par l’importance des souvenirs qui se rattachaient à elle. En effet, selon le savant tahitien, cette île est le père de toutes les autres[3]. Il est aujourd’hui facile d’interpréter cette expression, toute légendaire peut-être dans la bouche de Tupaïa, en regardant l’île Savaï, ou mieux sans doute l’archipel dont elle fait partie, et qui probablement portait le même nom qu’elle, comme le point d’où étaient sortis les premiers émigrans répandus plus tard dans toute la Mer du Sud. Telle est en effet la conclusion à laquelle M. Hale s’arrêta d’abord et qu’ont à peine modifiée, en la complétant, les recherches patiemment poursuivies dans tout le cours du voyage. On comprend qu’il n’était rien moins qu’aisé

  1. Cook avait connu cette tradition dès son premier voyage (1769-1771). Il avait recueilli chez les Tahitiens une tradition identique.
  2. On comprend qu’à une époque où la langue des Polynésiens était encore si mal connue, l’orthographe européenne a dû souvent bien mal en traduire les sons. Sur cette même carte, le nom de Tahiti est écrit O-Taheitee.
  3. Note dictée par Tupaïa à Forster (Obsewations faites pendant un voyage autour du monde).