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Le navire une fois terminé, Ngatoro’ s’y embarqua avec cent quarante guerriers d’élite, et, poussé par un vent très fort et des plus favorables, il atteignit en sept jours et sept nuits les rivages d’Hawaïki. Le canot fut tiré à terre et caché dans un bosquet. Ngatoro’ entra en communications avec sa sœur. Grâce aux renseignemens qu’elle lui donna, il tendit une embuscade à Manaïa, le défit dans la première rencontre, s’empara d’une de ses villes, et célébra son triomphe par un de ces terribles repas où le vaincu servait de nourriture au vainqueur. Un second combat eut la même issue, et parmi les guerriers qui s’y distinguèrent nous trouvons Tama-té-Kapua, qui tua le troisième ennemi et s’empara de son corps[1]. Après avoir ainsi vengé l’insulte qu’ils avaient reçue, Ngatoro’ et ses compagnons retournèrent à la Nouvelle-Zélande, où ils reprirent leurs travaux de colons et de cultivateurs. À son tour, Manaïa, voulant se venger de son beau-frère, partit d’Hawaïki à la tête d’une puissante armée que portaient de nombreux canots. Il surprit Ngatoro’ presque seul, avec sa vieille femme, dans la petite île de Motiti, où il s’était fixé ; mais, étant arrivé le soir, il eut le tort de se laisser persuader de remettre l’attaque au lendemain, et dans la nuit une horrible tempête, soulevée par les enchantemens des deux époux, détruisit sa flotte et fit périr tous ses soldats. Lui-même fut noyé, et son corps, jeté sur le rivage, fut reconnu au tatouage imprimé sur l’un de ses bras[2].

Le plus futile prétexte amenait ainsi des luttes sanglantes entre ces peuplades belliqueuses et affamées de chair humaine. On ne saurait donc être surpris de voir la guerre éclater de bonne heure entre les colons établis à la Nouvelle-Zélande. En quittant la mère-patrie, ils avaient apporté sur cette terre étrangère le souvenir de griefs réels ou supposés, et les haines, un moment suspendues, devaient à la première occasion avoir leurs conséquences habituelles. Cette occasion se présenta bientôt. L’Arawa, on le sait, obéissait à Tama’, à ce fils de Houmaï-ta-Whiti qui avait lutté longuement, et souvent avec succès, contre Uénuku et ses alliés. Le Taïnui était monté par des hommes appartenant aux tribus alliées de Uénuku. Parmi eux se trouvait un chef nommé Raumati. Celui-ci, ayant ap-

  1. Chez les Polynésiens en général, et surtout chez les Maoris, tuer un ennemi n’est qu’un demi-triomphe ; il faut surtout s’emparer du corps pour le manger et conserver sa tête comme un trophée. C’est par suite de cette coutume que l’on voit dans un grand nombre de collections des têtes que leurs tatouages font reconnaître pour avoir appartenu parfois à des chefs d’un rang élevé.
  2. Aujourd’hui c’est sur le front que sont gravés les signes personnels. À l’époque dont il s’agit ici, le moko n’avait pas encore été probablement régularisé comme il l’a été depuis.