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que leurs ancêtres avaient eu de tout temps l’habitude de trafiquer avec Guaham, mais que ces voyages avaient cessé à l’époque où les blancs arrivèrent aux Mariannes et les ravagèrent[1]. Or la découverte de ces îles date de 1521 ; les Espagnols en prirent possession en 1565. Les communications avaient donc été interrompues pendant deux cent vingt-trois ans. On demanda aux Carolins comment ils avaient su retrouver leur route. Ils répondirent que leurs chants nationaux contenaient à cet égard des indications connues des pilotes, et que ceux-ci les avaient guidés. Voilà par quels moyens ils avaient, après plus de deux siècles, réussi à se diriger à travers l’Océan sur une île qui n’a pas plus de trente à quarante kilomètres de diamètre. — Ajoutons que ces braves aventuriers furent engloutis au retour par une tempête, et sans doute leurs compatriotes crurent qu’ils avaient été massacrés, car de nouveau on n’en entendit plus parler ; mais en 1804 don Luis de Tort alla visiter les Carolines et rassura les esprits. Depuis cette époque, les anciens voyages ont recommencé. Tous les ans, une flottille accomplit le trajet, et parfois même des canots isolés ne craignent pas de le faire sans autre motif que l’espoir d’un gain presque insignifiant[2].

Ce fait est un excellent exemple de ce que savaient accomplir en voyages maritimes les habitans de l’Océanie bien avant l’arrivée des Européens. Si, pour aller de leurs îles aux Mariannes, les Carolins étaient jusqu’à un certain point aidés par les courans aériens ou marins, il est évident qu’au retour ces mêmes courans leur devenaient contraires. Cet obstacle ne les a pas arrêtés. Il est donc facile de comprendre que des marins aussi hardis ne devaient guère hésiter à tenter des voyages de découverte pour peu que quelque motif vînt les y pousser. Non moins hardis, les Polynésiens devaient agir de même, et nous en avons la preuve dans une foule de récits. Un chef était-il battu par un compétiteur, il abandonnait son île natale avec ses adhérens, et allait chercher fortune sur l’Océan. Des faits de cette nature se sont encore passés de nos jours. — La population menaçait-elle de devenir trop considérable relativement aux ressources d’une île : d’ordinaire un prêtre déclarait qu’un dieu lui avait révélé l’existence d’une terre de délices, il en indiquait la direction, et sur cette assurance une jeunesse ardente montait sur ses pirogues et cinglait ou ramait vers le point signalé. — Parfois, une île devenant décidément trop petite, on l’abandonnait

  1. La population des Mariannes, au moment de la découverte, était, dit-on, de 44,000 âmes. Ces îles n’ont aujourd’hui que 4,500 habitans, presque tous Espagnols ou métis.
  2. Je tiens ce fait de mon honorable confrère l’amiral Paris, qui l’a constaté par lui-même dans un des voyages de l’Astrolabe.