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les causes d’effets imparfaitement compris ; elle ne profite pas à l’honneur de la diplomatie, qui, pendant le XVIIIe siècle, a commis ou médité plus d’une entreprise détestable. Voici par exemple un épisode encore à peine connu, et qui peut servir de pendant à l’œuvre funeste du partage de la Pologne. Déjà, en publiant dans la Revue l’article secret d’un traité conclu en 1769 entre la Russie et la Prusse, nous avons émis cette conjecture, que les deux cabinets de Berlin et de Pétersbourg avaient conçu le projet de démembrer la Suède comme la Pologne ; nous croyons être aujourd’hui en mesure de démontrer, par de nouvelles preuves, que les deux démembremens ont été en effet préparés à la fois. Chacun des traités qui se rapportaient à la Pologne entraînait quelque article secret dirigé contre la Suède ; les deux cours principales invoquaient ici les mêmes argumens que dans les affaires polonaises, et appelaient aussi un troisième copartageant ; les articles, secrets des traités désignaient enfin d’une manière expresse et à l’avance les différentes parts. Il est difficile de calculer quelles eussent été, si le complot tramé contre la Suède eût réussi, les dernières conséquences d’un tel acte. Tous les obstacles qui arrêtaient la marche envahissante de la Russie contre l’Europe centrale se seraient abaissés. S’emparant dès lors de toute la Finlande, elle aurait développé son empire maritime d’abord sur la Baltique et bientôt sur la Mer du Nord par les ports de la côte norvégienne, que détenait le Danemark, devenu son complice, pendant que la Suède, amoindrie et tenue en échec par les Danois, dépouillée par la Prusse de sa dernière province allemande, eût été forcée de renoncer aux diversions qui inquiétaient et compromettaient sans cesse l’action des armées et de la diplomatie moscovites contre l’empire ottoman.

Les intérêts de la Suède n’ont jamais cessé entièrement d’être liés avec ceux de la Pologne. Ces deux nations avaient été rivales et s’étaient combattues pendant le XVIe siècle. La paix d’Oliva, en 1660, avait consacré, par la cession des provinces baltiques de Livonie et d’Esthonie, la victoire définitive des Suédois ; mais bientôt de nouveaux ennemis, grandissant vite en puissance, avaient également menacé les deux peuples : en face de la Russie et de la Prusse, pour qui leur abaissement paraissait devenir une condition indispensable, leur cause était devenue commune. Après un demi-siècle à peine d’hostilités ouvertes, les cabinets de Pétersbourg et de Berlin recoururent aux négociations secrètes et perfides. C’est Frédéric II, sans nul doute, qui a précédé, dans l’histoire des malheurs de la Pologne, l’impératrice de Russie, et ce triste honneur paraît lui revenir encore, si l’on considère attentivement sa politique envers la Suède. On le voit, dès les premières années de son règne,