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Malgré l’excès de son humiliation, la royauté vit néanmoins se grouper autour d’elle, en ces vicissitudes civiles, non-seulement certains membres du parti des bonnets, qui aspiraient à reprendre du crédit par son alliance, sauf à la renier plus tard, mais l’ordre entier des paysans, imprudemment dédaigné par les vainqueurs. Une révolte des Dalécarliens, venus en armes jusqu’aux portes de la, capitale en demandant un roi, avait naguère empêché les états de proclamer une sorte de république aristocratique ; les murmures : des paysans, les protestations même de cet ordre pendant la diète de 1756 contre les insultes dont on abreuvait la royauté, furent un nouvel avertissement. L’impatience de la reine s’en empara pour autoriser secrètement la formation d’un complot. Elle comptait sur les ouvriers du port et sur quelques compagnies de la garde ; on devait, pendant la nuit du 21 juin 1756, cerner la diète et les domiciles de ses principaux chefs, occuper les salles du parlement pour empêcher ses réunions ultérieures, procéder à quelques arrestations nécessaires, acclamer le roi et la reine, qui paraîtraient à cheval pour se mettre à la tête du peuple, et convoquer dans une autre ville une diète qui décernerait à la couronne une nouvelle puissance. Les précautions étaient mal prises, et le complot échoua. À minuit (en pleine lumière à cette date sous ce climat), quand le roi et la reine, des fenêtres du château qui donnaient sur le port et la grande place, cherchèrent à reconnaître leurs amis, ils aperçurent de nombreuses patrouilles qui occupaient les avenues et dispersaient les groupes ; tout était perdu : un caporal de la garde avait dénoncé la veille les projets de la cour, et y avait gagné, avec cent mille rixdales, des lettres de noblesse. Cette journée des dupes fit un grand nombre de victimes. Une commission des états s’érigea en haute cour de justice secrète : le comte Éric Brahé, qui avait dans ses caves huit cents cartouches, fut condamné à mort et décapité avec cinq ou six officiers sur une des places de Stockholm ; quelques autres n’échappèrent au dernier supplice que par la fuite ; la chambre aux roses[1], que Gustave III devait seul faire disparaître.à jamais, fut rouverte ; plus de cinquante personnes subirent la prison, le pilori et les amendes. Tels furent les traitemens réservés aux coupables du second et du troisième ordre ; mais il y en avait d’autres plus haut placés qu’on voulait surtout atteindre. On ne se contenta pas de l’humiliation cruelle que durent causer au roi et à la reine les supplices de leurs amis, qu’ils étaient impuissans à sauver ;

  1. On appelait ainsi la salle où s’appliquait la torture ; dans un trou creusé au fond d’un cachot souterrain et rempli d’une bourbe infecte, on plongeait jusqu’au cou la victime. La froideur des eaux y était insupportable ; des milliers d’insectes s’attachaient à toutes les parties du corps et les dévoraient.