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souffrirent jusqu’à l’excès, ruina le pays au dedans et au dehors. Les élémens d’une réaction s’accumulèrent. Charles XI, pour mieux abattre la puissance de l’aristocratie, avait prodigué et par là même avili les titres ; tout fonctionnaire de quelque rang, tout officier de certain grade avait pu espérer sous son règne de fonder une maison. On avait vu se créer de la sorte une noblesse inférieure rivale de l’ancienne, mais naître aussi des vanités et des prétentions ambitieuses, qui comptaient bien, quand le joug ne s’appesantirait plus, se satisfaire : il était facile de prévoir une coalition de ces espérances avec les ressentimens de la vieille aristocratie. Un autre ferment s’y ajouta : ce fut ce qu’on pourrait appeler l’effervescence parlementaire, l’impatience qui excitait la diète suédoise à revendiquer sa part dans le gouvernement. Les ordres inférieurs n’avaient pas cru naguère travailler à l’avantage exclusif de la royauté ; ils avaient vu son triomphe absolu avec satisfaction d’abord par haine de la noblesse, avec un certain dépit ensuite, se trouvant eux-mêmes subjugués, et ils aspiraient à prendre en main ce qu’ils nommaient dès lors la cause des libertés publiques, c’est-à-dire qu’ils voulaient imposer à la royauté une constitution, et se faire dans le nouvel établissement une belle place, suivant l’exemple du parlement d’Angleterre. La noblesse, hier leur ennemie et maintenant leur complice, sut habilement s’emparer de ces velléités inquiètes et les tourner, pour quelque temps du moins, à son profit. Tel fut le sens et tels furent les élémens, en apparence contradictoires, du nouveau changement qui, aussitôt après la mort de Charles XII, enleva à la royauté son absolutisme pour le transporter à la diète. Une nouvelle période s’ouvrit qui devait durer plus de cinquante ans, de 1718 à 1772, c’est-à-dire de la mort de Charles XII au coup d’état de Gustave III, et pendant laquelle l’aristocratie suédoise, dominant la diète en face d’une royauté qui expiait ses fautes et d’une nation divisée, donna pleine carrière à son avidité et à ses récriminations égoïstes. Cette période, la noblesse l’a surnommée le temps de la liberté (frihetstiden) ; mais la postérité n’y peut reconnaître qu’une époque de dissensions intestines et de misérable anarchie. Il faut en distinguer au moins les principaux traits pour pouvoir apprécier le rôle que Gustave III fut appelé à jouer plus tard et toute l’histoire de la Suède pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, histoire si mêlée à la nôtre.

La chute de l’absolutisme royal était devenue inévitable au moment de la mort de Charles XII. Tandis qu’éloigné de son royaume dix-huit années durant, il compromettait au dehors l’édifice de gloire élevé par Gustave-Adolphe et par ses grands capitaines, ses ordres irréfléchis venaient exiger au dedans toujours de nouvelles