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forte et généreuse sève de ses essais, et c’est ce qui fait l’ascendant de cet éminent esprit, dont l’éloquence se nourrit d’une science profonde et d’une inspiration supérieure de justice, de même que les événemens qui se sont succédé depuis quelques années donnent un intérêt de plus à des morceaux comme l’étude sur Machiavel, comme les fragmens sur la papauté, sur les rapports de l’église et de l’état, où lord Macaulay se mesure avec M. Gladstone. Ici encore, c’était le défenseur de la liberté qui parlait avant que cette question des rapports de la religion et des pouvoirs civils s’élevât sous une forme nouvelle dans une partie de l’Europe. La vigoureuse sagacité de lord Macaulay vient en aide à cette cause de la pacification par la liberté.

Sans s’interdire l’analyse philosophique, sans se résoudre à des voyages intellectuels dans d’autres contrées qui mettent l’esprit en présence des civilisations différentes, lord Macaulay cependant, on le sent, est Anglais avant tout, et c’est dans tout ce qui tient à l’Angleterre qu’il est principalement à l’aise. Il est Anglais par le génie, par la sève morale, par la vigueur particulière de l’observation, par toutes les habitudes de penser et de juger, par ces qualités diverses qui font de ses essais comme de ses récits historiques une forte et lumineuse trame. Dans ses Essais, sur l’Histoire d’Angleterre, on peut dire qu’il est véritablement sur son terrain, refaisant avec Hallam le résumé de la vie constitutionnelle de son pays, esquissant d’une main sûre la physionomie d’un Horace Walpole ou d’un Mackintosh, traçant le portrait de Milton dans un de ses premiers ouvrages, dans celui qui commençait sa renommée. Si l’on veut mesurer la virilité et la fécondité de cet éminent esprit, on n’a qu’à embrasser du regard cette carrière qui va du portrait de Milton, en 1825, aux pages substantielles et vivantes de l’histoire de Guillaume III. Dans cet espace de toute une vie semée d’études littéraires et de travaux politiques, le talent de l’écrivain ne fait que s’étendre et se fortifier, de même que le caractère de l’homme public ne fait que s’élever en s’honorant par une invariable fidélité aux mêmes principes, fidélité qui lui coûta un jour son siège à la chambre des communes. L’histoire est pour lui une école où il sent s’affermir, se développer chaque jour le goût et l’intelligence de la liberté. C’est ce qui fait l’unité de tous ces fragmens où, dans la diversité même des sujets et des peintures, — on peut caractériser ainsi ses pages toujours animées, — se révèle son esprit savant, original, alliant la solidité anglaise à une ingénieuse fécondité d’aperçus. Ces essais de diverse nature, traduits maintenant en français, forment un ensemble qui est l’honneur d’une intelligence, et qui fait de l’auteur, même parmi nous, un des maîtres de l’histoire politique.

Ch. de Mazade.

V. de Mars.