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REVUE. — CHRONIQUE.

des deux grands écrivains que nous venons de nommer. Quelques mots suffiront pour donner une idée de la pièce qui a pu faire illusion à un homme aussi expérimenté que M. Auber. Un roi de Garbe, Babolin Ier, dont le nom est aussi inconnu que le pays qu’il gouverne, a formé le projet de se marier en demandant la main de la fille de l’empereur de Maroc, la belle Alaciel ; mais comment s’y prendre pour atteindre au but de ses plus vifs désirs ? Le roi charge son neveu Alvar d’aller au Maroc et de lui ramener la princesse avec tous les égards dus à son rang et à sa rare beauté. On ne se douterait pas quel est le compagnon que le roi donne à son neveu pour l’aider dans l’accomplissement de sa mission : c’est la sémillante Figarina, dame d’atours de sa majesté Babolin 1er, dont elle est chargée de polir et de raser le menton tous les jours de la vie. Cette fonction, que Figarina remplit d’une main délicate, lui a valu la bienveillance du roi, dont elle dirige l’esprit sans paraître vouloir le dominer. Avant de partir, le roi confie à sa camériste un collier composé de treize perles du plus grand prix, et qu’elle doit remettre à la princesse Alaciel. Cet écrin, paraît-il, est un talisman qui a le pouvoir de révéler la moindre faiblesse de la femme qui le porte. Si elle se permettait seulement de recevoir le moindre baiser d’un autre homme que son fiancé, une perle tomberait et laisserait dans le collier un vide accusateur. Aussi, par une suite d’incidens sur lesquels il est inutile de s’arrêter, il arrive, que Figarina, portant toujours sur elle le collier fatal, pour ne pas compromettre la princesse, reçoit tant de baisers furtifs que les perles ont disparu jusqu’à une seule. « Pourquoi ma fiancée n’a-t-elle plus son collier ? dit ce roi de Cocagne furieux à Figarina, qui est revenue de son long voyage, et il menace de renvoyer la princesse à son père. — Si vous faites cette injure à l’empereur du Maroc, il vous déclarera la guerre, et vous serez perdu, car il est puissant, répond Figarina. — Mais que faire alors ? — Mon Dieu ! unissez la princesse à votre neveu, qui l’aime et de qui il est aimé, et tout finira bien. » Après un moment de réflexion, ce plaisant roi, qui n’est pas fâché de sortir de la position difficile où il se trouve, dit à Figarina : « J’y consens ; mais, comme vous m’avez donné souvent de bons conseils dont j’ai senti le prix, je veux que vous partagiez ma vie en devenant ma femme. » Ainsi soit-il, semble dire Figarina, et l’histoire finit en effet par un double mariage. Cette longue légende, divisée en trois mortels actes où la réalité la plus vulgaire se mêle à un merveilleux puéril, ne présente ni une scène intéressante ni un caractère qui ressorte d’une foule de personnages obscurs qu’on voit paraître et disparaître comme des êtres fantastiques qui ne tiennent à l’action que par des moyens grossiers de mise en scène. Ce ne sont pas les fades amours de don Alvar et de la princesse Alaciel qu’on peut admirer, car la scène nocturne du second acte, où les deux amans se font la première déclaration, est une reproduction affaiblie d’une scène touchante qui termine le premier acte de Lallar-Roukh de M. Félicien David. Le seul personnage qui