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ils espèrent trouver seulement une distraction aimable ? Ce ne sont pas les talens qui manquent pourtant, ce ne sont pas les compositeurs experts qui font défaut ; mais aucune individualité saillante ne s’élève au-dessus de cette cohue de savans manœuvres qui encombrent les chemins et assourdissent le public de leurs vaines clameurs. Lorsqu’un théâtre ouvre ses portes à quelque importun qui se présente au nom d’une vocation méconnue, il est rare que le directeur qui a eu cette faiblesse ne la paie assez cher. Dans cet état de choses, ce que les théâtres peuvent faire de mieux, c’est de reprendre avec soin les opéras consacrés par le temps et la sanction des connaisseurs. Voilà pourquoi l’Opéra, ne sachant depuis longtemps où donner de la tête, a eu la bonne pensée de remettre en scène un chef-d’œuvre qu’on avait trop négligé. Nous voulons parler de Moïse, une des grandes conceptions dramatiques de Rossini. C’est le 28 décembre 1863 qu’a eu lieu cette exhibition devant un public nombreux et bien appris qui a su apprécier les moindres beautés d’un opéra ou plutôt d’un oratorio qui remonte à l’année 1827. On sait que Rossini, venu en France en 1824, fit comme Gluck, en appropriant d’abord pour la grande scène lyrique de la France deux de ses opéras italiens : Maometto Secondo, qui devint le Siège de Corinthe, représenté le 9 octobre 1826, et Mosè in Egitto, qu’on donna le 26 mars 1827. Après un petit chef-d’œuvre de grâce, d’esprit et d’invention mélodique, le Comte Ory, qui parut sur la scène de l’Opéra le 28 août 1828, le maître s’arrêta dans sa carrière glorieuse, et ce point d’arrêt fut marqué par une merveille de l’art : Guillaume Tell.

La partition de Moïse est un remaniement du Mosè in Egitto, qui a été écrit à Naples et représenté sur le théâtre de Saint-Charles en 1818. Le libretto italien, qui est d’un poète nommé Totola, a été retouché et rendu plus raisonnable par M. de Jouy. Le caractère de Moïse surtout est mieux accusé ; mais il reste toujours un drame qui manque d’intérêt et qui n’a pas tout à fait la couleur du style biblique. On sait qu’il s’agit de la lutte du peuple hébreu, qui réclame sa liberté au pharaon qui gouverne l’Égypte. Au milieu de cette lutte nationale et religieuse se dessine la passion d’Aménophis, l’héritier de Pharaon, pour la Juive Anaï. Le dénoûment est connu. Si nous avions du temps à perdre et si la partition de Moïse avait besoin d’être défendue contre d’obscurs contradicteurs qui en sont encore à dire que Rossini n’a pas le génie dramatique, nous dirions à ces écrivains sans consistance : Écoutez le chœur de l’introduction, — Dieu de la paix, dieu de la guerre, — celui sans accompagnement qui vient après, le duo charmant entre Aménophis et Anaï, dont l’andante est d’une expression touchante, le duo entre Anaï et sa mère. Tout cela est aussi beau comme musique que comme expression des sentimens des personnages et de la situation où ils se trouvent. Et la belle introduction du second acte en ut mineur, pour parler comme les doctes du feuilleton, et l’invocation de Moïse, — Arbitre suprême, — avec le chœur qui en est la conclusion, est-ce que toutes ces