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REVUE. — CHRONIQUE.

l’Europe. Une complication qui eût pu devenir européenne se sera transformée en une complication intérieure particulière à l’Allemagne. Ce sera aux grandes puissances allemandes de s’arranger avec les cours secondaires ; ce sera aux unes et aux autres de régler leurs comptes avec l’opinion publique allemande, qui, pour exhaler ses griefs et en poursuivre le redressement, trouvera sans doute plus d’une occasion meilleure que celle qu’elle a cherchée dans l’affaire du Slesvig-Holstein. Nous ne regrettons point, quant à nous, l’attitude d’abstention que notre gouvernement a gardée dans ce débat. Cette attitude était inspirée par la prudence, et sera, nous l’espérons, justifiée par l’événement. La France, qui a toujours trouvé dans le Danemark un fidèle allié, la France, signataire du traité de 1852, n’aurait pas pu, sans ingratitude et sans injustice, prendre parti contre le Danemark. D’un autre côté, le Danemark ayant dans le cabinet anglais un avocat très énergique, nous n’avions pas besoin d’entamer avec l’Allemagne une contestation irritante. Nos démarches, si elles eussent été aussi actives et aussi vigoureuses que celles des Anglais, auraient excité en Allemagne des défiances plus vives, des susceptibilités plus ombrageuses, des ressentimens plus dangereux pour la paix du monde. Nous ne regrettons même point qu’il n’y ait pas eu lieu d’appliquer à cette question embrouillée et envenimée la panacée du congrès. En quoi, nous le demandons, le congrès eût-il été plus efficace que les procédés ordinaires de la diplomatie ? Le congrès eût-il eu la moindre influence sur les animosités des Danois et des Allemands les uns contre les autres ? Eût-il empêché l’exécution fédérale dans le Holstein ? Eût-il empêché une question ardue de succession de se mêler à une question compliquée de droit fédéral ? Eût-il empêché les armemens militaires en Danemark et en Allemagne ? N’eût-il pas eu au contraire l’inconvénient de nous jeter en plein dans un démêlé dont nous avons eu la sagesse et la bonne fortune de nous tenir à l’écart, et dont l’apaisement sera rendu moins difficile peut-être justement par la raison que nous n’y aurons pas pris part ? Ceux qui regrettent le congrès et en proclament la vertu à tout propos nous paraissent tomber dans l’illusion que raillait l’autre jour M. de Morny quand il disait : Ah ! s’il suffisait de lever un doigt pour modifier la carte du monde ! On ne peut pas plus pacifier le monde et faire son bonheur avec la belle utopie du congrès qu’on ne peut tuer le mandarin en levant le doigt. Certes nous vivons en un temps sévère et dans un état de l’Europe si précaire qu’il serait dangereux de se bercer d’une politique d’illusions. L’empereur a parlé en politique sérieux quand, au début de la session, il décrivait en termes si sombres l’instabilité des choses dans la situation actuelle de l’Europe. Que d’édifices vermoulus soutenus miraculeusement par les plus faibles états ! Combien de choses sont à transformer, et combien de choses demeurent à la merci du plus mince accident ! Avec ses besoins inassouvis de liberté, avec ses aspirations de nationalité, avec ses douloureux accouplemens de vieilleries gothiques et de nouveautés modernes, l’Europe est dans une