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chaque Français, nous avons le sentiment que nous y rentrons, que nous en reprenons possession. Nous savons maintenant que onze années d’austère abstinence n’ont point oblitéré parmi nous les grandes facultés individuelles appliquées à l’étude des intérêts publics ; nous savons que nous avons toujours au milieu de nous des hommes que la pratique des institutions libres ne trouvera inférieurs à aucune des tâches qu’elle pourra leur imposer. Nous ressaisissons notre tradition. La vie parlementaire s’était évanouie parmi nous en un crépuscule déchiré par de tristes lueurs : elle reparaît, en une nouvelle aurore, avec un éclat qu’elle n’a point surpassé dans ses plus beaux jours.

Ce qui nous plaît dans cette transformation encourageante, c’est qu’il ne s’y mêle et ne s’y pourra mêler de longtemps aucun antagonisme fâcheux, nulle impatience enfiévrée, nulle prétention ambitieuse, aucune irritation, aucune amertume. Le nouveau tour que la vie politique est en train de prendre en France se présente à tous comme une sécurité et un profit. Il n’y est question ni de luttes de parti, ni de jalouses compétitions du pouvoir. L’opinion publique est assurée qu’elle aura dans l’assemblée représentative des organes dignes d’elle, capables d’y établir une contradiction suffisante, et que par ces organes elle pourra exercer sur la conduite des affaires son contrôle et son influence. Voilà tout, et tant qu’on ne lui en donnera pas des motifs légitimes, elle n’aura point d’autre exigence. Dans ces conditions, qui sont bien comprises et par l’opposition législative et par le public, le mouvement actuel ne menace personne, ne saurait donner ombrage à personne, et au contraire offre des sécurités à tous en élevant toutes les situations. Voyez ce qui se passe pour le corps législatif : il y a à la chambre une opposition petite par le nombre et grande par le talent, et en face de cette opposition est la majorité. L’opposition a recueilli la première le bénéfice du nouveau courant politique qui s’est répandu dans le pays. Elle s’est recrutée d’anciennes illustrations que la fortune, par un retour de clémence qui est lui-même un symptôme d’heureux augure, a voulu associer à la renaissance de la liberté comme pour les récompenser d’en avoir supporté avec dignité les disgrâces. Les élémens dont l’opposition se compose étaient donc divers d’origine ; la loi intime qui semble diriger le mouvement actuel n’a pas permis à ces diversités d’origine de se trahir et d’affaiblir l’opposition par des divisions : au contraire, en gagnant des élémens nouveaux, l’opposition, dans toutes ses parties, a crû en autorité et en éclat de langage. M. Thiers a apporté au corps législatif sa connaissance si étendue et si scrupuleuse des faits, son esprit de pénétrante analyse, son bon sens si clairvoyant, ses vues toujours fécondes, mais que la retraite semble avoir rendues plus hautes et plus fermes ; il a mis en œuvre toutes ces belles facultés avec un art incomparable et une perfection qu’il n’avait peut-être jamais atteinte autrefois. M. Berryer nous a fait encore admirer la vigueur de ses déductions logiques et ses élans chevaleresques ; mais l’arrivée de ces athlètes n’a découragé ni les anciens