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Avoir ce beau joujou que j’appelle mon âme…
Ne pleurez pas, enfant, — vous ne l’aurez jamais.

Jamais vous ne l’aurez, l’âme altière et farouche !
Sur vos deux petits pieds dressez-vous comme il faut ;
Vos blanches mains peut-être iront jusqu’à ma bouche,
Mais non jusqu’à mon cœur, ma chère, — il est trop haut !

Lui-même il s’est rivé sur un roc, dans l’espace,
Là-haut, plus haut encor, dans le haut firmament !
Triste et fier, il attend l’ange qui, lorsqu’il passe,
Brise d’un glaive d’or les clous de diamant !

EDOUARD PAILLERON.


DANS LA FOULE.


Dire que j’ai passé peut-être à côté d’elle,
Que peut-être cent fois se sont croisés nos pas,
Qu’elle est peut-être ici quand je la crois là-bas,
Et m’appelle peut-être ainsi que je l’appelle !

Dire que c’est pour moi que Dieu l’a faite belle,
Que nous nous aimerions d’une amour immortelle,
Qu’il ne faut pour cela que le hasard, hélas !
Et que lorsque Dieu veut, le hasard ne veut pas !

Et dire que c’est vous, vous, peut-être, madame,
Qui passez là, dont l’âme est la sœur de mon âme,
Vous qu’à moi, dans la foule, un instant réunit,

Vous qui vous approchez, qui me regardez même,
Que peut-être c’est vous qui m’aimez et que j’aime…
Et que vous voilà loin et que tout est fini !

EDOUARD PAILLERON.


SOUFFRIR.


Tu disais : l’aube en pleurs rougit comme la joue
D’une vierge à l’aveu charmant et redouté,
Et l’oiseau boit l’azur où l’insecte se joue
Dans l’or de la lumière et dans sa liberté.

Et la mer, ciel fluide, avec un bleu sourire,
Ouvre à ses alcyons le vallon de ses eaux
Où croissent les forêts de corail, où se mire,
Se mire en palpitant la voile des vaisseaux.