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de cette station. En même temps ils jouissent de toutes les immunités que confère le titre d’inscrit : que l’un d’eux par exemple soit pris en vagabondage, délit dont ils sont à chaque instant coupables, au lieu d’être mis à la geôle et contraint à travailler dans les ateliers disciplinaires pour acquitter son amende, il sera tout simplement renvoyé au commissaire de l’inscription maritime. Je n’attaque en rien l’emploi des noirs à bord : sous ce ciel brûlant, ils rendent des services que l’on ne peut attendre que d’eux ; mais n’eût-on pu facilement trouver un meilleur moyen de les employer que d’implanter dans nos colonies une institution si vivement et si justement combattue aujourd’hui en France ?

La loi de 1861 a eu pour objet de faire droit aux justes griefs de nos colonies. Toutefois, avant de rechercher quelle influence elle semble appelée à exercer sur leur avenir, il est un point de leur existence passée qu’il faut éclairer, parce que, bien que d’ordinaire on ne parle de ces colonies que collectivement, il existe pourtant entre elles des différences dont l’action se fera sentir dans les transformations qui se préparent. C’est en remontant à notre révolution de 1789 que l’on trouve l’origine de ces différences. La Guadeloupe n’avait été jusque-là en quelque sorte que la très humble servante de la Martinique ; sauf de rares intermittences, les relations directes lui étaient interdites avec la métropole, et cette tutelle peu justifiée avait eu pour effet naturel de laisser dans l’ombre une île au profit de l’autre. Les guerres maritimes qui s’ouvrirent en 1792 intervertirent les rôles. Tombée au pouvoir de la Grande-Bretagne en 1794, redevenue française à la paix d’Amiens, puis prise de nouveau par les Anglais en 1809, la Martinique ne cessa pas un jour d’être régulièrement gouvernée, et le contre-coup des crises qui déchiraient l’Europe ne s’y fit sentir qu’au début par quelques troubles insignifians. Il en fut autrement à la Guadeloupe, où les luttes sanglantes qui signalèrent la période révolutionnaire ont laissé dans la population noire des souvenirs dont la trace se retrouve encore aujourd’hui. Cet épisode de nos grandes guerres a été trop oublié par l’histoire pour que l’on ne s’y arrête pas un instant, ne fût-ce qu’à cause de l’étrange physionomie de l’homme qui sut y prendre un rôle prédominant.

La Guadeloupe avait capitulé le 20 avril 1794. Les autres îles du Vent avaient successivement subi la même destinée, et le comité de salut public, voulant tenter un effort sur le succès duquel lui-même probablement comptait peu, expédia pour les reconquérir une petite division composée de deux frégates et de quelques transports avec onze cents hommes de troupes. Des deux commissaires investis de pleins pouvoirs par le comité, l’un, fils d’un boulanger de