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Qu’est-ce à dire ? Que l’auteur sacré se contredit grossièrement ? Non, mais qu’il faut, en présence de ces vieux livres, composés de fragmens bien plus vieux encore, s’attendre à rencontrer, à côté d’une valeur religieuse incomparable, une naïveté de manière, une certaine ingénuité de rédaction, qui, à mes yeux du moins, en augmentent encore le charme mystérieux. Si on le comprend bien après tout, l’écrivain hébreu a très bien vu. Il rattache ses connaissances ethnologiques au berceau de sa race, à la région de l’Ararat, d’où jadis descendirent les Sémites, et avec eux l’esprit du Dieu « fort tout-puissant. » N’est-ce pas là en effet, n’est-ce pas au sud-ouest de la Caspienne que se trouve le point de jonction où les deux familles de peuples de l’Asie antérieure, les Sémites et les Camites ou Couschites, se rencontrèrent avec les Japhétites ou Aryens ? Que cette donnée traditionnelle, d’une parfaite justesse aux yeux de la science, se soit associée à la notion d’un effroyable déluge universel dont la vallée du Tigre et de l’Euphrate était si bien faite pour engendrer ou, si l’on veut, pour perpétuer la tradition, il n’y a rien là que de très naturel, et il est toujours intéressant d’observer que le plus ancien contact des deux races de Sem et de Japhet ait laissé chez la première un vif pressentiment du grand rôle réservé dans l’histoire à la seconde, tandis que Sem s’attribuait, en quelque sorte, la fonction religieuse dans l’humanité. Il n’est rien de plus instructif à méditer sous ce rapport que le vieux chant hébreu que nous a conservé la Genèse, et qui s’appelle la Bénédiction de Noé[1].

Rappelons-nous enfin que se connaître soi-même est l’abrégé de la sagesse, et qu’on ne se connaît bien qu’à la condition de connaître son pays et sa race, car chacun de nous en porte l’indélébile empreinte. Le grand rameau de l’humanité auquel nous appartenons porte avec lui l’avenir du monde. Si l’on observe bien, on verra qu’il n’y a depuis longtemps que deux civilisations sur la terre, la nôtre et la chinoise. Le reste peut-il compter ? Maintenant la nôtre seule avance, se propage, conquiert l’espace et devance le temps ; elle le doit à ce que l’idée du perfectionnement, du mieux, du droit de chacun à le chercher, de l’avenir meilleur, fait partie du patrimoine inaliénable que nous ont légué les pères de notre race. Le Chinois n’aime que le passé et n’adore que ses morts : nous, nous croyons au Dieu vivant et à la destinée. Notre civilisation doit aussi sa supériorité à ce que, dans sa longue histoire, elle a su s’approprier ce que d’autres races avaient produit de meilleur, l’écriture, la navigation, le monothéisme ; quant à ce dernier,

  1. Gen. IX, 26-27.