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n’a persécuté ceux qui adoraient trop. Qu’on prenne bien garde à soi quand, en preuve d’un monothéisme primitif, imaginaire, on allègue certaines hymnes ou formules adressées à quelque divinité particulière et lui conférant les attributs de la perfection absolue ! L’homme, quand il adore, ne le fait jamais à demi, et avant de décerner le titre de monothéiste à celui qui chante l’hymne ou prononce la formule en question, je veux être sûr que demain il ne rendra pas un hommage tout semblable à une divinité très différente. De notre temps encore, il est des prédicateurs de campagne pour qui le saint du jour est régulièrement le plus grand du calendrier.

Il en est de même de la tradition du déluge, dont je crains que M. Pictet n’exagère l’universalité et surtout l’unité d’origine. Je ne nie pas qu’on ne la trouve en bien des lieux ; mais ce qui m’inquiète un peu, c’est que ce sont ordinairement des lieux particulièrement exposés à des inondations subites, dévastatrices, tandis qu’ailleurs elle est inconnue. Ainsi la Thessalie, les vallées tributaires de l’Indus et du Gange, surtout les plaines très basses où s’élevèrent Babylone et Ninive, sont les théâtres respectifs des déluges de Deucalion, de Manou, de Xisuthros, tandis que la vaste région de l’Iran, limitrophe pourtant de celle où la Genèse fait renaître le genre humain tout entier après le déluge de Noé, ne connaît aucune tradition de ce genre. L’Avesta ne sait rien du déluge, non plus que les mythologies germaniques et slaves. C’est qu’aussi l’Iran est un immense plateau, très élevé, et où l’on redoute le manque d’eau bien plus que l’inondation. Je ne voudrais pas en quelques lignes trancher une question bien obscure encore et très ardue, je me borne à exprimer des doutes sur le caractère vraiment aryen de la tradition du déluge.

Parmi les idées religieuses que les diverses branches de la famille ont emportées bien plus certainement du centre commun, outre celle que la nature divine est essentiellement lumineuse, nous trouvons la personnification et la divinisation du soleil, de la lune, de l’aurore, etc. Une mer de poésie s’est révélée aux regards des chercheurs depuis que les vieux mythes, tamisés par la critique, sont devenus assez transparens pour laisser voir la nature à travers leurs naïfs symboles. Il faudrait tout un livre pour énumérer les découvertes ravissantes faites dans ces régions si longtemps impénétrables. Bien des idées fantastiques, dédaignées autrefois, redevenues aujourd’hui, grâce à la réaction du romantisme, Je bien commun des poètes et des artistes, ont leur acte de naissance inscrit dans l’antiquité aryenne. Le fameux mythe germanique de la. chasse sauvage, par exemple, a laissé des traces de son passage aux bords de l’Indus comme dans les forêts de la Souabe. C’est partout le dieu