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déjà très notable ; mais il est extrêmement curieux de prendre pour ainsi dire sur le fait les antiques notions des rapports réciproques des membres de la famille tels qu’on peut les déduire de l’étude étymologique des plus anciens mots de cet ordre. On est tout surpris de rencontrer ici une délicatesse de sentiment qui contraste avec ce que d’autres indices de la vie des Aryas laissent apercevoir de grossier et même de brutal.

D’abord le mariage existait chez eux, entouré de formes solennelles et protectrices pour la femme. Le mari amenait sa femme chez lui (ducere uxorem) : cette locution se trouve partout. Le contact des mains entre les fiancés, la dextrarum junctio des Latins, servait de symbole à la promesse d’engagement mutuel, et ce n’est pas seulement dans le langage de la galanterie moderne que l’homme demande la main que la femme accorde : cette façon de parler remonte à une très haute antiquité. Des bords du Gange à ceux du Shannon, les dots des filles ont consisté en vaches. Il est encore des districts en Souabe où l’usage est de donner à l’épousée la plus belle vache de l’étable, laquelle, ornée de fleurs et de rubans, marche à la suite du char nuptial. Il faut voir dans le beau travail de M. le docteur Haas[1] sur les cérémonies védiques du mariage combien d’analogies curieuses existent entre les coutumes encore en vigueur dans une foule d’endroits peu connus de notre Occident et celles qui fleurirent un jour dans le Sapta-Sindhu. Tout indique aussi que la monogamie a toujours été la règle dans notre race malgré des exceptions bien connues aux temps historiques. L’époux est « le maître, le nourricier, le protecteur ; » mais l’épouse est la maîtresse, la nutrienda, celle qu’il faut nourrir, l’aimée, l’honorée. » Les premiers noms donnés par l’enfant au père et à la mère sont de toutes les langues, parce qu’ils tiennent partout à la conformation des organes de la voix chez l’enfant et à certaines onomatopées naturelles ; mais les noms plus significatifs du père et de la mère, qui se ressemblent avec une incroyable persistance dans toutes les langues indo-européennes, font du premier « un protecteur, » de la mère « celle qui a produit, conformé l’enfant. » Le nom de la fille, dans presque toutes les langues aryennes, signifie « celle qui trait les vaches. » Il est évident que cela nous reporte encore aux mœurs pastorales de la famille aryenne primitive. Des noms sanscrits, remontant jusqu’à la période de l’unité aryenne, donnent au fils des noms signifiant « celui qui rend heureux, qui chasse le chagrin, » etc. Le frère est désigné comme le soutien de la sœur, celle-ci comme la compagne du logis de son frère, relations toutes naturelles, mais saisies, on en conviendra, avec une

  1. Dans les Indiscke Studien de M. Weber, v. 257.