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tenir compte ni des difficultés, ni des confirmations que l’on pouvait rencontrer de ce côté-là.

Cependant il n’y en avait pas moins des étymologies bien évidentes, bien réelles, soit que l’on passât du français au latin, soit que l’on suivît la liste des expressions dérivées successivement d’un mot plus ancien. Qui doutera que notre mot nation vienne du latin nati ? Le mot nation à son tour, resté assez longtemps improductif dans notre langue, acquiert depuis le XVIIIe siècle une importance quant au sens et une fréquence quant à l’usage qui provoquent la formation de dérivés dont quelques-uns sont tout récens, national, nationalité, etc. De même, il est certain que le tio final de nombreux substantifs latins aboutit régulièrement en français à la syllabe nasale tion. En anglais au contraire, le son nasal fait place à un certain son cérébral que nous écririons chen’, et dans les langues germaniques les quelques mots de ce genre qui ont réussi à s’introduire se prononcent comme si l’o était long et l’u sonore. Voilà des faits : pourquoi donc ne pas procéder ici comme partout ? pourquoi ne chercherait-on pas les lois présidant à cette catégorie de phénomènes en observant ce qu’ils présentent de commun, de régulier, de général ? Il doit y avoir, par exemple, certaines lois de la dérivation des langues dans la manière dont chaque peuple prononce les langues étrangères, manière tellement fixe et régulière dans ses irrégularités mêmes qu’elle constitue un accent spécial reconnaissable entre tous. Ne voit-on pas aussi comment les enfans dénaturent certaines articulations, toujours les mêmes, au point que s’ils n’étaient redressés par l’usage et l’instruction, ils créeraient spontanément des mots nouveaux, bien que dérivés certainement du langage maternel[1] ? Enfin il a pu y avoir, il y a eu en effet dans la formation des langues des phénomènes semblables à ceux que la médecine appelle des idiosyncrasies, c’est-à-dire des faits individuels, exceptionnels, tenant à une constitution toute spéciale des personnes. Il est des organisations décidément rebelles à certaines prononciations. Un Français a toutes les peines du monde à prononcer comme il faut le th anglais ou le ch allemand, de même qu’un Anglais arrive bien rarement à une bonne prononciation de notre mot toujours, et en général de nos mots terminés en our.

Les faits de ce genre sont innombrables dans l’histoire des langues,

  1. Les Chinois, ces vieux enfans qui ne peuvent prononcer l’r, lui substituent régulièrement une l quand ils s’approprient un mot européen où cette lettre se rencontre, et quand ils nous appellent des Folansi, on dirait qu’ils ont dans l’oreille notre nom national prononcé avec l’intonation particulière du soldat… frrancé, et qu’ils le rendent aussi consciencieusement qu’ils peuvent.