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L’effet fut si grand que, pendant quelques années, le sanscrit passa pour la langue primitive elle-même parlée un jour par toute cette racé que les Allemands s’obstinent à nommer indo-germanique, comme s’il n’y avait qu’eux et les Indiens pour la constituer, et qu’il vaut bien mieux appeler indo-européenne. C’est un peu comme si, dans l’hypothèse imaginée tout à l’heure, on eût considéré le roumain du moyen âge comme du latin pur. Une autre découverte linguistique dont la France a l’honneur, celle du zend ou langue de l’Avesta[1] et des anciens Médo-Perses, découverte qui ne le cède en importance qu’à celle du sanscrit, mais dont celle du sanscrit rehaussa singulièrement la valeur, ne pouvait s’accorder avec cette supposition. Le zend en effet, tel qu’il nous est connu, ne remonte pas aussi loin que le sanscrit, mais il est encore fort ancien : il est au sanscrit dans un rapport analogue à celui qui unit le français à l’italien dans la famille latine ; en un mot, c’est un rameau moins rapproché du tronc primitif que le sanscrit, mais le premier après lui et indépendant de lui. La langue, primitive de la race indoeuropéenne a été telle qu’elle a pu devenir le sanscrit dans l’Inde et le zend dans l’Iran, et en même temps pousser dans d’autres directions encore d’autres grands rameaux d’où sont nées les langues européennes.

Ainsi se forma l’arbre généalogique des langues indo-européennes, qui se séparent nettement d’autres formations organiques, telles que les langues finnoises, thibétaines, sémitiques, avec lesquelles il y a quelquefois contact, mais un contact purement extérieur, accidentel, jamais de pénétration mutuelle. Il va sans dire que ce ne sont pas nos langues européennes modernes, nées de tant de croisemens et de mélanges, qu’il faut rattacher directement à la langue primitive de notre race : ce sont celles que nous trouvons déjà formées au commencement de notre histoire et avant le grand mélange de peuples dû à la fondation, puis à la destruction de l’empire romain. Nous aurons ainsi, pour ne citer que les principales, le rameau gréco-latin, qui se divisé ensuite dans ses deux branches bien connues ; le rameau celtique, dont l’armoricain, le kymri, l’irlandais sont avec le gaulois, malheureusement bien effacé, les dérivés les plus notables ; le rameau germanique, d’où l’ancien gothique et. le Scandinave sont sortis ; enfin le rameau lithuano-slave. Un fait curieux à relever, c’est que, de toutes les langues parlées aujourd’hui, le lithuanien est aux yeux dès philologues celle qui s’écarte

  1. Le Zend-Avesta est, comme on sait, le livre sacré des disciples de Zoroastre. Ce nom signifie-t-il la Parole de vie, comme on l’a cru longtemps, ou la Parole qui donne la vie, comme quelques-uns le croient aujourd’hui ? C’est une question débattue en ce moment.