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épisode, — le banquier voudrait consentir au mariage sollicité par son fils. Quel avantage y trouverait-il ? Et l’excellent prétexte pour s’y opposer !… Epouse-t-on la fille d’un fou ? Alfred cependant n’est plus le même vis-à-vis de son père. Son respect, sa soumission semblent ébranlés. Il a des tristesses inexplicables, des retours d’ironie, des saillies amères qui vont mal à sa jeunesse et rappellent les funèbres plaisanteries d’Hamlet. Sa sœur s’en désole, son père s’en effraie plus qu’il ne l’ose dire. Quelques médecins, consultés à tout hasard, font entendre de sinistres pronostics. Alfred, qui perce à jour leur ignorance pédante, les exaspère par des épigrammes qui les lui rendent hostiles. Richard Hardie n’a tout d’abord accueilli qu’avec un dédain marqué les oracles menaçans des suppôts d’Hippocrate ; mais à mesure que la rébellion de son fils prend un caractère plus net, il leur prête une oreille plus complaisante, et lorsque, poussé à bout, Alfred lui parle enfin des « quatorze mille livres sterling, » lorsqu’il se jette en suppliant aux pieds de son père pour obtenir de lui qu’il se repente, qu’il répare le crime commis, lorsque, partagé entre la colère et l’épouvante, le banquier a repoussé, durement repoussé les prières de son malheureux enfant, lorsque mutuellement inflexibles, l’un dans sa justice, l’autre dans sa cupidité, ils se sont déclaré une guerre impie, les dires absurdes de la faculté vont prendre une consistance, une importance terrible.

Alfred approche de sa majorité. Une fortune indépendante qui lui vient de sa mère, et sur laquelle la négligence de ses trustees a laissé prélever un emprunt considérable par le banquier réduit aux abois, doit lui échoir à cette époque. Il en a offert la moitié à Richard Hardie pour le décider à restituer l’argent volé : mobile impuissant sur un calculateur aussi rigoureux. Cette offre qu’il a vue repoussée avec dédain, Alfred la porte aux seuls amis qui lui restent. Domptant à grand’peine les scrupules qui jusqu’alors avaient enchaîné sa langue, il dénonce devant mistress Dodd, devant Julia, devant Edward, l’ignominie paternelle, et puisqu’elle les a ruinés, il met tout ce qu’il possède à leur discrétion. Edward, investi désormais des droits de chef de famille et qui les exerce avec autorité, décrète dans sa justice qu’il n’acceptera rien pour lui, rien pour sa mère. Les quatorze mille livres eussent été la dot de sa sœur ; Alfred est libre, s’il le juge à propos, d’épouser la jeune fille sans dot. L’expiation, sous cette forme, n’a rien de terrible. Quant au banquier, il restera paisible possesseur du fruit de son crime, — Ce n’est pas sur le dire du fils que nous pourrions poursuivre le père, ajoute le généreux Edward, qui dans ce moment-là pensait peut-être à Jane. Ces arrangemens sourient à chacun et ramènent la joie, — une joie mêlée de quelque amertume, — au sein de cette famille ruinée par