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Au moment où l’Agra quittait les eaux de Canton, les destinées du portefeuille emporté de Chine par le capitaine Dodd n’intéressaient après tout que l’avenir financier de sa famille ; mais, tandis que s’accomplissait la longue traversée dont nous avons résumé les principaux incidens, certaines complications domestiques sur lesquelles il faut maintenant revenir lui assignaient un rôle beaucoup plus essentiel. Alfred Hardie, le fils du riche banquier, était à Oxford le condisciple d’Edward Dodd. Aucune liaison intime ne s’était formée toutefois entre ces deux jeunes gens jusqu’au jour où, sur les bords de la rivière Isis, mistress Dodd et sa fille vinrent assister à une de ces régates qui passionnent les étudians des universités anglaises. L’émotion est grande en pareil cas, soit pour les acteurs, soit pour les spectatrices de ces luttes ardentes qui mettent aux prises les universités rivales. C’est le tournoi du moyen âge réduit aux proportions de notre époque, et la jeunesse anglaise, imbue de l’esprit national, y porte cet entraînement particulier qui caractérise le peuple marin entre tous. Il y a là d’excellentes raisons pour qu’Edward et Alfred, compagnons de combat, défendant le même drapeau, associés à la même victoire, éprouvent l’un pour l’autre une vive et subite sympathie. Il y en a de meilleures encore pour que la mère et la sœur du premier, mistress Dodd et sa fille Julia, accordent une certaine bienveillance amicale au brillant scholar, à l’impétueux athlète qui leur apparaît ainsi pour la première fois dans un moment d’exaltation et de triomphe. Et n’est-il pas également bien naturel qu’Alfred Hardie, quand il a une fois surmonté cette fausse honte, cette pudeur virile qui rendent si gauches les premiers rapports d’un jeune student avec le beau sexe, n’est-il pas naturel, disons-nous, qu’il s’éprenne de la belle Julia Dodd, telle que le romancier nous la dépeint, — à la fois vive et contenue, capricieuse dans la forme et raisonnable au fond, fière d’esprit, douce de cœur, enjouée et dévouée, mêlant volontiers une pointe de sarcasme à ses plus affectueuses effusions, et n’en aimant pas moins d’un amour loyal et sincère celui à qui elle rend ainsi, toujours prête à la riposte, railleries pour tendres propos, épigramme pour madrigal ? Moins courageux, c’est-à-dire moins amoureux, Alfred battrait en retraite devant une amazone au carquois si bien garni ; mais les blessures qu’elle inflige dès l’abord à son amour-propre hérissé, à ses susceptibilités de collégien, se guérissent d’elles-mêmes sans qu’il sache comment, sans qu’il ait le secret de ces nuances d’accent et de sourire par lesquels l’excite ou le paralyse, le ravit ou le désespére tour à tour la coquetterie native de cette séduisante enfant. Jamais M. Reade, dont le talent inégal est rarement à court de ressources, n’a trouvé sous sa plume de tableau plus vrai et plus attrayant que ne l’est celui de ce premier amour,