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croyant toujours aimer en Julio un frère. Il ne reste plus que le prêtre frappé d’interdiction, poursuivi de ce nom de maudit lancé contre lui dans un anathème. Alors, après avoir enseveli celle qu’il a aimée longtemps comme une sœur, frappé de l’arrêt qui l’arrache aux fonctions sacerdotales, il n’a plus qu’à chercher l’oubli, à se réfugier dans la petite vallée de Campan, où il essaie de vivre. Tant de secousses d’ailleurs l’ont atteint profondément. Louise le lui a dit en mourant, « les peines morales te tueront. » Vaincu et épuisé, il va bientôt déteindre à l’hôpital de Bigorre, et là même une suprême épreuve l’attend. L’aumônier lui refuse les sacremens. C’est un vieux prêtre plus prudent et plus compatissant qui l’assiste dans l’agonie, et Julio meurt en disant : « Soyez adoré, Seigneur ! Vous seul êtes juste ! vous avez donné l’éternelle paix au maudit ! » Cette fin serait touchante et d’une sérénité sombre, si on ne voyait encore à ce dernier moment reparaître cette vilaine figure de Loubaire, qui vient porter au chevet du mourant sa dangereuse et compromettante amitié.

Je me suis laissé aller à raconter cette histoire, sans illusion sur ses faiblesses, qui sont sans nombre, surtout sans parti-pris pour les idées dont elle est l’expression dramatisée, mais en songeant que sous sa forme romanesque elle touche pourtant à plus d’un point de notre vie morale et religieuse contemporaine. On dira ce qu’on voudra, que ce livre, d’une littérature fort mêlée, est audacieux et violent, — qu’il soulève des voiles que nul n’a le droit de lever, qu’il pénètre injurieusement et en intrus dans le mystère des mœurs ecclésiastiques, des rapports intérieurs du clergé, qu’il est le signe redoutable du progrès des passions irréligieuses, qu’il est un scandale par lui-même, et que le succès qu’il peut avoir est un scandale plus triste encore. Et quand cela serait, quand il serait vrai qu’un livre impossible il y a moins de dix ans fût devenu possible aujourd’hui, il resterait alors à se poser une question que se posait un écrivain qui n’est pas suspect, M. Albert de Broglie, en observant le caractère des polémiques religieuses de notre temps, en essayant justement de préciser ce changement dans l’atmosphère morale. « Pourquoi se taisait-on, disait-il, pourquoi flattait-on hier ? Pourquoi parle-t-on, pourquoi outrage-t-on aujourd’hui ? C’est apparemment que les dispositions des auditeurs se sont modifiées, et ce qu’ils voulaient voir bénir et respecter alors, ils trouvent bon qu’on le maudisse maintenant devant eux… Comment le vent a-t-il changé ?… » Oui ; comment le vent a-t-il changé ? C’est là le genre de victoire dont je parlais. Malheureusement il ne suffit plus de dire qu’une œuvre est irréligieuse, immorale, parce qu’elle remue les questions les plus douloureuses et les plus délicates. Rien n’est