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ira la chercher. Pour le moment, on ne sait rien de cette disparition mystérieuse, qui laisse Julio désespéré. Que cette catastrophe d’une séquestration imprévue, éclatant en plein XIXe siècle, soit un moyen invraisemblable, démesuré, humiliant pour la police française, qui passe pourtant pour bonne gardienne de la liberté individuelle et des mœurs, c’est bien clair. Est-elle absolument impossible, même avec nos lois, nos parquets, nos ambassadeurs et nos généraux présens à Rome ? Après tout, un roman, même vrai sous certains rapports, n’est point une histoire, et je ne vois aucune loi qui empêche qu’une jeune fille de vingt-deux ans, surprise par le désespoir, se désiste d’un procès en captation, disparaisse momentanément, et se retrouve un jour dans un couvent de dames bénédictines des états romains, à Santa-Maria de Forcassi. Ce qui est certain, c’est que la simplicité de l’invention en souffre infiniment plus que le code.

Jusque-là en effet, cette lutte, malgré la diffusion du récit, n’est point sans intérêt, elle émeut presque quelquefois, elle met en lumière une vie inconnue et des mœurs qui, même exagérées, ont un certain relief saisissant. Ici on entre dans la région des fantasmagories et des surprises mélodramatiques, et le pauvre Julio s’en allant, muni d’un exeat pro quâcumque diœcesi, à la recherche de sa sœur à travers la Méditerranée et les états pontificaux, devient un pèlerin difficile à suivre. Pourquoi l’auteur va-t-il faire cette étape à Rome ? Est-ce pour représenter la vie ecclésiastique dans ses trois grands foyers, dans les campagnes, à Rome et à Paris ? Est-ce pour avoir l’occasion de décrire l’inquisition et ses procédés, ou pour montrer la compagnie de Jésus délibérant dans un conseil secret, au centre même de la catholicité, sur les intérêts du monde ? Toute cette partie du livre, il faut bien le dire, est à la fois mélodramatique et froide ; l’accent de la vérité n’y donne plus la vie à des peintures qui peuvent froisser ou irriter. À Rome, l’abbé Julio n’est que le pauvre jouet de tristes mésaventures. Dans les Pyrénées, à T. ou à Paris, c’est un prêtre d’une imagination libre peut-être, mais soutenant avec la bonne foi d’un cœur sincère une lutte vraie, directe et humaine contre une persécution qui ne se lasse pas, qui finira par le vaincre.

Julio n’est point encore vaincu cependant. Après ce voyage de Rome, qui est un mauvais rêve plutôt qu’une phase sérieuse de sa vie, il lui reste Paris, le vaste théâtre, où il vient avec sa sœur retrouvée, avec un esprit élevé par les épreuves, fécondé par la méditation intérieure ; mais que fera-t-il ? que va-t-il tenter, lui, le prêtre éloquent et convaincu dans ses aspirations réformatrices ? Trouvera-t-il même une église où on voudra le recevoir, et ici du moins échappera-t-il aux hostilités qui le poursuivent partout où il