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de sa nature lui rend facile, dévorée de ce besoin d’activité qui s’accroît à une certaine heure et n’est souvent que le fruit d’une inquiétude inassouvie, elle s’est donnée tout entière aux agitations excitantes de la dévotion mondaine et aux jésuites. C’est un de ces merveilleux agens féminins qui se lancent quelquefois en volontaires de la bonne cause et ont de ces audaces irresponsables qui n’entrent que dans une tête de femme habilement montée. Aller droit à Julio est inutile. La comtesse de *** se tournera secrètement vers Louise de La Clavière, elle profitera d’anciennes relations de famille, elle témoignera un intérêt imprévu ; elle effraiera surtout la jeune fille des terribles peines qui vont déshonorer son frère, — l’interdit, l’excommunication majeure. Cette nouvelle Philothée a de curieux argumens.


« Il est évident, dit-elle à Louise, que, sous ce malheureux code civil qui régit actuellement la France, les jésuites ne peuvent faire valoir leur droit ; mais ce droit, il existe ; mais ceux qui causent quelque dommage à la société, qui osent retenir quelque chose qui lui appartient, qui attaquent l’institut, qui attentent à la réputation des jésuites, sont excommuniés. Or votre frère, voulant faire casser le testament de sa tante, parce qu’il suppose que les jésuites sont héritiers au lieu et place de M. Tournichon, et cela est vrai, attente à la propriété des jésuites. En écrivant un mémoire contre eux, il attente à leur réputation. Vous le comprenez, ma pauvre enfant, si la loi civile, la loi païenne ne peut l’arrêter, si même elle allait jusqu’à condamner la société, la loi spirituelle atteindrait le prêtre prévaricateur : l’interdit d’abord, qui est déjà suspendu sur la tête du coupable, et la terrible excommunication ! La sentence est arrivée de Rome, et dans deux jours le père provincial l’enverra à l’archevêque, qui sera bien obligé de la proclamer… »


N’est-ce pas un mot d’une profondeur presque comique, ce mot qui transforme le spoliateur en spolié, la revendication légitime d’un héritage de famille en attentat à la propriété de ceux dont on avoue la captation ? Cela ne suffit point encore cependant. La comtesse fait une dernière tentative. Soit instinct de femme, soit diversion hardie, elle parle à Louise, qui l’ignore entièrement, d’un prochain et brillant mariage de Verdelon, mariage qui devient impossible, s’il ne renonce à plaider dans ce malheureux procès. Alors Louise se sent atteinte dans son amour comme dans son affection pour son frère ; elle ne tient plus à rien. Elle consent à tout, elle signe tous les désistemens qu’on lui demande. Non-seulement elle renonce à son procès, elle disparaît tout à coup secrètement ; elle part avec la comtesse triomphante. Où vont-elles ? On retrouvera Louise plus tard dans un couvent des états romains, où son frère