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leur direction n’a jamais pu mordre, et aussi pour une cause plus terrestre, parce qu’il a une tante, la douairière de La Clavière, dont il est l’héritier avec sa sœur, et dont la fortune, légèrement détournée à l’aide de quelque fidéicommis, viendrait fort à point aux révérends pères pour élever une vaste maison d’éducation qui existe effectivement aujourd’hui, car ici le réel se mêle à la fiction. Les jésuites sont puissans à T… Là comme partout, plus que partout, avec l’indépendance et la force qu’ils tirent de l’impulsion venue de Rome et des mille relations qu’ils se créent, ils ont une influence invisible qui se glisse jusque dans l’administration de l’église. Ils suppléent à la prédication séculière, ils dominent dans l’éducation, ils ont le pouvoir inconnu et insaisissable que donne la direction des consciences. Il y a là un certain père Briffard dont je ne veux pas médire, mais qui soigne avec conviction l’héritage des La Clavière ; il tient la famille par tous les bouts, depuis la bonne douairière jusqu’à la vieille servante Madelette. Il sait tout ce que fait, ce que dit et ce que pense Julio. Ce jeune imprudent n’aurait qu’à se soumettre, il deviendrait l’enfant de prédilection ; mais il résiste, il tient des propos inquiétans sur la compagnie : c’est là son malheur. Même avant d’arriver à la prêtrise, il est signalé aux bons sulpiciens, ses directeurs, comme un homme qu’il est dangereux d’admettre au sacerdoce, qui « se lance dans les idées nouvelles si pernicieuses, » et dès lors à chaque pas il est suivi, surveillé. On ne pourra l’atteindre dans l’intégrité de ses mœurs, dans la pureté de sa jeunesse et de sa vertu ; c’est par son esprit, par ses idées, par ses tendances qu’il sera vulnérable. Une fois pris dans le funeste engrenage, il n’en sortira que mutilé et sanglant. L’abbé Julio serait même vaincu dès le premier jour et mis hors de combat, s’il ne se trouvait par hasard à T… un cardinal-archevêque qui le couvre de sa faveur et en fait son secrétaire.

Cet archevêque, ce cardinal de Flamarens, est, je l’avoue, un prince de l’église comme on n’en voit guère : homme d’esprit, de bon ton, de grâce mondaine, de mœurs élégantes, quoique régulières, qui, en se laissant aller au courant des opinions dominant dans l’église, est arrivé à la pourpre, mais qui au fond croit que bien des formes dans lesquelles on enferme la pensée religieuse sont désormais vieillies, qu’on fait fausse route depuis longtemps, que Rome se perd en attachant obstinément sa royauté spirituelle à une royauté terrestre dont elle n’a plus qu’un débris, qu’il s’agit avant tout enfin de sauver l’idée chrétienne. Il croit bien d’autres choses, ce bon cardinal, qui se plaît aux querelles d’esprit avec sa sœur la chanoinesse de Flamarens et qui a pour le faste un penchant qu’il se reproche tout bas. Il croit surtout fort peu à l’utilité