Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/652

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une candeur inflexible. Ce n’est point un personnage vulgaire, cet abbé Julio de La Clavière, qui vivait, il y a quelques années, à T., vous dira son historien, et qui est sorti un jour du séminaire pour faire un si grand bruit dans le monde. Ce jeune homme, en entrant dans la vie, a toutes les qualités d’élection, une nature sincère et généreuse, la noblesse du cœur, le dévouement, la science, l’imagination, trop d’imagination, je le crains. Il a reçu l’esprit de son siècle, mais en l’épurant au foyer d’une âme ardente et pleine de foi. Il croit à l’apostolat chrétien, et si un de ses amis, abbé défroqué, Auguste Verdelon, lui oppose des abus, des déviations, il répond avec une douceur ferme : « Tout cela est un fait humain qui ne détruit d’aucune manière la mission divine confiée à l’apostolat dans le monde. » Julio, pour sa part, a résolu un problème épineux et compliqué, celui d’allier l’indépendance de l’esprit à une soumission entière comme prêtre. Il a ce qu’un de ses supérieurs appelle « une modération terrible. » Ses erreurs, s’il en a, ne sont point de la révolte, son obéissance n’est point de la servitude. Quelle que soit sa position, il est sans effort au niveau de tout. Mettez-le dans une chaire, il sera un prédicateur hardi et éloquent, cherchant dans l’église des premiers temps de la foi le rajeunissement de l’église nouvelle ; mettez-le dans une humble cure, il sera un desservant fidèle, faisant le bien avec simplicité ; placez-le dans les plus cruelles épreuves, il soutiendra le choc avec la douceur virile du prêtre et de l’homme bien né. Il a de plus une grande pureté de mœurs. Le regard le plus sévère ne peut découvrir une tache dans sa vie. Toutes ses affections terrestres reposent sur la tête d’une sœur qu’il aime d’une tendresse fraternelle jusqu’au jour où un redoutable secret, en éclatant tout à coup, vient réveiller l’homme et lui infliger le plus douloureux martyre. C’est un héros comblé de tous les dons, vous dis-je ; seulement tous ces dons de droiture, d’intégrité morale, de supériorité intellectuelle, de délicatesse et de loyale fierté sont un piège pour lui ; ils l’entraînent et peuvent le conduire loin ; ils commencent par le signaler comme un prêtre d’une espèce particulière qui peut devenir dangereux, et ils font que pour lui, dans cette vie ecclésiastique organisée comme elle est, agitée souvent d’orages invisibles, tout va être embûche, persécution et souffrance. Il se heurtera ingénument contre les écueils, et il s’y brisera.

Pourquoi donc Julio, dès son premier pas dans la carrière, est-il en guerre avec les jésuites ? Parce qu’avant d’aller se préparer au sacerdoce sous la douce autorité des bons sulpiciens du grand séminaire, il a été leur élève, parce qu’il les connaît et qu’à leur tour ils connaissent la candeur redoutable de ce jeune homme, sur qui