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hardie dans le domaine le plus intime et le plus réservé des mœurs religieuses. D’autres pays ont, je le sais, de vrais tableaux de mœurs ecclésiastiques. Nous ne sommes pas accoutumés en France à voir tout ce monde clérical passer sur la scène ou dans un roman. Il semble tout de suite que ce soit une profanation, une insurrection contre l’inviolabilité de l’habit religieux, et toute œuvre de ce genre passe facilement pour un appât offert à une curiosité dépravée. On suit avec plus de malaise que d’intérêt ces voyages à travers des régions inconnues où l’on se trouve en face d’une société particulière qui a ses lois, ses mobiles, ses drames humains, ses collisions sourdes, ses ambitions, ses tyrannies, ses souffrances, et si celui qui ose déchirer le voile est lui-même un prêtre, si ce prêtre ne ménage point les couleurs pour peindre ce qu’il sait, ce qu’il a vu, ce qu’il a éprouvé, ou s’il a des idées plus hardies sur les affaires de son siècle, il devient aussitôt un infidèle qui divulgue le secret de son état et qui trahit son ordre. Quel qu’il soit et dans quelque condition qu’il se trouve, l’auteur du Maudit est certainement un homme qui a vu de près ce qu’il décrit, et ce livre qu’il a tiré de son souvenir encore plus que de son imagination, ce livre, littérairement inférieur, moralement équivoque, sans être absolument irréligieux, n’a pas moins une signification singulière et grave par les questions qu’il agite, par les circonstances où il se produit, par la situation dont il est le symptôme.

Quel est donc le sens de ce roman ? Ce n’est rien moins au fond que le scabreux et dramatique tableau de la lutte intime d’une partie du clergé inférieur, séculier, réagissant secrètement contre l’esprit de fanatisme et d’absolutisme, se débattant contre la domination croissante des ordres religieux, notamment des jésuites, puisqu’il faut les appeler par leur nom, et cette lutte vient se résumer dans la destinée d’un jeune prêtre qui porte en lui toutes les tragédies de la vie écclésiastique moderne.

Disons le mot : ceci est un livre contre les jésuites, la description passionnée d’un duel corps à corps entre la grande compagnie et un homme choisi moins encore comme un antagoniste que comme une victime qui proteste par sa défaite. Je ne voudrais point entrer dans une trop minutieuse dissection d’une histoire qui, à travers un fourmillement d’épisodes et de personnages, court de Toulouse, la bonne et vieille capitale du midi, désignée sous la transparente initiale de T., au village de Saint-Aventin, à Rome et à Paris, pour revenir se dénouer dans une vallée pyrénéenne, dans un hôpital où expire le maudit, inconnu, abandonné des hommes, sous le poids de l’anathème qui le poursuit. Le vrai nœud du drame est dans cette lutte fatalement engagée en quelque sorte par un jeune prêtre