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son parti une meilleure apparence. Le grand nom de Cicéron aurait suffi pour corriger le mauvais effet que produisait son entourage. Malheureusement Cicéron était fort difficile à décider. Il passa tout le temps qui sépare le passage du Rubicon de la prise de Brindes à changer d’opinion tous les jours. Des deux côtés on tenait également à se l’attacher, et les deux chefs eux-mêmes le sollicitaient, mais d’une façon très différente. Pompée, toujours maladroit, lui écrivait des lettres courtes, impérieuses : « Prenez au plus tôt la voie Appienne, venez me trouver à Lucérie, à Brindes, vous y serez en sûreté. » Singulier langage d’un vaincu qui s’obstine à parler en maître ! César était bien plus habile. « Venez, lui disait-il, venez m’aider de vos conseils, de votre nom, de votre gloire ! » Ces ménagemens, ces avances d’un général victorieux, qui sollicitait humblement quand il avait le droit de commander, ne pouvaient pas laisser Cicéron insensible. En même temps, pour être plus sûr de le gagner, César lui faisait écrire par ses amis les plus chers, Oppius, Balbus, Trebatius, surtout Cælius, qui savait si bien le moyen de le prendre. On l’attaquait à la fois par toutes ses faiblesses ; on ranimait de vieilles rancunes contre Pompée ; on l’attendrissait par le tableau des malheurs qui menaçaient sa famille ; on enflammait sa vanité en lui montrant l’honneur de réconcilier les partis et de pacifier la république.

Tant d’assauts devaient finir par ébranler une âme aussi faible. Au dernier moment, il semblait décidé à demeurer en Italie, dans quelque maison de campagne isolée ou dans quelque ville neutre, vivant hors des affaires, ne prenant parti pour personne, mais prêchant à tout le monde la modération et la paix. Déjà il avait commencé un beau traité sur la concorde des citoyens ; il voulait l’achever dans ce loisir, et comme il avait bonne opinion de son éloquence, il espérait bien qu’elle ferait tomber les armes des mains les plus obstinées. C’était une chimère sans doute ; cependant il ne faut pas oublier que Caton, qui n’est pas suspect, regrettait que Cicéron y eût si tôt renoncé. Il le blâmait d’être venu à Pharsale, où sa présence n’était pas d’un grand secours pour les combattans, tandis qu’il pouvait, en demeurant neutre, conserver son influence sur les deux rivaux et servir entre eux d’intermédiaire. Mais un seul jour renversa tous ces beaux projets. Lorsque Pompée quitta Brindes, où il ne se croyait plus en sûreté, et s’embarqua pour la Grèce, César, qui comptait sur cette nouvelle pour retenir Cicéron, s’empressa de la lui transmettre. Ce fut précisément ce qui le fit changer d’opinion. Il n’était pas un de ces hommes, comme Cælius, qui tournent avec la fortune et se décident pour le succès. Au contraire il se sentit rapproché de Pompée dès qu’il le vit malheureux. « Je n’ai jamais souhaité partager sa prospérité, disait-il ; que je voudrais avoir partagé son