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Au moment de son départ pour la Cilicie, il ne cessait de lui vanter les grandes qualités de Pompée : « croyez-moi, lui disait-il, livrez-vous à ce grand homme, il vous accueillera volontiers ; » mais Cælius se gardait bien d’en rien faire. Il connaissait Pompée, dont il a tracé à plusieurs reprises des portraits piquans ; il l’admirait peu et ne l’aimait pas. S’il s’était tenu loin de lui au temps de sa plus grande puissance, ce n’était pas, on le comprend, pour se jeter dans ses bras quand cette puissance était menacée. À mesure que la crise qu’il avait prévue approchait, il mettait plus de soin à se tenir sur la réserve et attendait les événemens.

C’était du reste le moment où les plus honnêtes hésitaient. Ces irrésolutions, qui ne semblent pas avoir beaucoup surpris alors, ont été bien sévèrement traitées de nos jours. Cependant il est facile de les comprendre. Les questions ne se posent pas aux yeux des contemporains avec la même netteté qu’à ceux de la postérité. Quand on les regarde de loin, avec un esprit détaché de toute préoccupation, que d’ailleurs on embrasse à la fois les conséquences avec les principes et qu’on peut juger les causes par les résultats, rien n’est plus aisé que de se prononcer ; mais il n’en est plus ainsi quand on vit au milieu des événemens, et trop près d’eux pour en saisir l’ensemble, quand on a l’esprit prévenu par les engagemens antérieurs ou les préférences personnelles, et quand la décision qu’on va prendre compromet la sécurité et la fortune. Alors il n’est plus possible d’avoir le regard aussi ferme. Ce qui ajoutait en ce moment à la confusion, c’était l’état d’anarchie où se trouvaient les anciens partis de la république romaine. À dire vrai, il n’y avait plus de partis, mais des coalitions. Depuis cinquante ans, on ne luttait plus pour des questions de principes, mais seulement pour des intérêts de personnes. Les opinions n’étant plus disciplinées comme autrefois, il s’ensuivait que les esprits timides qui ont besoin de s’attacher aux traditions anciennes pour se conduire flottaient au hasard et changeaient souvent. Ces variations éclatantes de personnages honorables et respectés jetaient le trouble dans les consciences peu sûres et rendaient le droit obscur. César, qui connaissait ces indécisions et qui espérait en profiter, faisait son possible pour en augmenter les causes. Au moment même où il se préparait à détruire la constitution de son pays, il avait le talent de paraître la respecter plus que tout le monde. Un juge expert en ces matières, et qui connaît à fond les lois romaines, a déclaré après un mûr examen que César avait la légalité pour lui, et que les griefs dont il se plaignait étaient fondés[1]. Il se gardait bien alors de découvrir tous ses projets et

  1. Voyez l’excellent mémoire de M. Th. Mommsen intitulé : Die Rechtsfrage zwischen Cæsar und dem Senat. Breslau 1857.