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de vanille ou de caoutchouc. Longtemps encore les caïmans sillonneront les fleuves en compagnie des pirogues, et les républiques de fourmis se disputeront le sol comme aujourd’hui. Ces immenses solitudes ne seront guère troublées qu’à de rares intervalles par un naturaliste d’outre-mer venu à la recherche d’une collection d’insectes ou de quelques grappes d’orchidées.

Néanmoins il serait peut-être imprudent d’affirmer une impossibilité absolue d’exploitation du territoire occupé par les forêts vierges. Le peuple colonisateur par excellence, le Nord-Américain, eut l’idée, il y a quelques années, d’appliquer son indomptable énergie à la culture de cet incomparable jardin. On se rappelle le célèbre voyage d’exploration du lieutenant Herndon et les conclusions de son rapport ; mais la jalousie portugaise s’émut à ces révélations et veilla plus que jamais à l’entrée de ses rivières. L’activité fiévreuse du Yankee effraie le paisible Brésilien, et il aime mieux encore murer ses richesses inutiles que de les voir prospérer aux mains d’un voisin si turbulent. Quant aux gens de couleur, qui s’enorgueillissent de leur ascendance ibérique, j’ai assez démontré, dans une précédente étude[1], qu’ils sont complètement incapables de comprendre la tâche que leur position et leur origine sembleraient leur assigner. Nés dans le pays, ils n’ont, il est vrai, rien à redouter des effets du climat ; mais on croirait, à les voir à l’œuvre, que cet avantage physique n’a été obtenu qu’au détriment de leur énergie morale. Loin de rappeler quelque chose de cette ardeur qui inspira tant de faits héroïques à leurs ancêtres, ils semblent ne connaître de la vie que l’indolence indienne. Du reste, au milieu d’une existence si facile, où puiseraient-ils l’idée de labeur ? et où trouver le point de départ de la civilisation, si ce n’est dans la lutte que les exigences sans cesse renaissantes de la vie engagent chaque jour contre une nature inerte ou ennemie ? Aussi croyons-nous que le seul moyen à mettre en pratique pour l’exploitation sérieuse de cet immense bassin serait d’ouvrir les embouchures de tous les fleuves à l’initiative des déshérités du vieux monde ; mais, je l’ai déjà dit, l’ambition remuante de la grande république du nord inquiète la monarchie du sud. Il faut bien avouer également que, malgré les maximes de l’Évangile et les vérités économiques les mieux établies, c’est encore l’étroit esprit de caste et de tribu qui préside aux relations des peuples, et les descendans des conquistadores n’ont rien sous ce rapport à envier aux peaux-rouges.


ADOLPHE D’ASSIER.

  1. Voyez la Revue du 1er juin 1863, le Rancho.