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— Et où sont les gros ? dis-je à mon guide quand j’eus fini avec les petits.

— Les gros ne sont pas loin non plus ; ils nous voient sans que nous les apercevions ; mais je vais les forcer à montrer le nez. — Et il se mit à viser un gros papagaio (perroquet), perché sur un des arbres qui bordaient le fleuve. Le coup partit, et je vis l’oiseau dégringoler de branche en branche. Il avait à peine atteint le niveau de l’eau que deux ou trois grosses têtes de caïmans s’élevèrent pour saisir cette proie.

Tels sont les hôtes de la forêt les plus remarquables par leur force ou par les dégâts qu’ils causent aux plantations. Il n’y a rien à dire des timides et inoffensifs rongeurs et herbivores qui leur servent de pâture : ils sont bien connus ; ajoutons seulement, à l’adresse des disciples de saint Hubert, que les sangliers et les cerfs (veados) fourmillent dans les bois vierges du Brésil. Le lièvre y est représenté par l’agouti, et je ne crois pas que les habitans aient perdu au change. Ils ont de plus que nous le tapir, le tatou, la sarigue, etc. On peut recommander la chair de ces derniers, qui est réellement exquise. Dans les campos du sud, les gauchos poursuivent de leurs bolas le nandû, espèce d’autruche plus petite que celle d’Afrique, mais non moins agile que les chevaux et les bœufs sauvages. Généralement ces animaux sont d’une taille moins élevée que ceux de l’ancien monde. Ils ont une chair plus savoureuse, mais peut-être aussi plus coriace. C’est absolument le contraire des fruits, qui sont généralement trop doux et trop sucrés. L’humidité et la chaleur ont changé la pulpe en mélasse, et le palais européen y cherche en vain l’acidité rafraîchissante des fruits de nos vergers. Il n’y a rien à dire non plus des innombrables légions d’oiseaux qui animent les solitudes des forêts vierges. Il n’est pas une Parisienne qui n’ait jasé avec un ara, un cacatoès ou une perruche, et on ne trouverait pas un musée de province qui ne possède sa collection d’oiseaux mouches, fleurs vivantes qui semblent résumer toutes les merveilles des tropiques. La plus importante de ces tribus ailées est sans contredit celle des vautours. Tous les animaux de cette immense famille se font remarquer par leur tournure gauche, leur cou presque pelé, leur robe plus ou moins noire, leur bec long et crochu et certaine atmosphère de vermine qui semble suinter de leurs plumes. Le plus célèbre d’entre eux est l’urubu, dont nous avons déjà parlé[1].

Cependant, malgré le nombre et les appétits de ces terribles hôtes des solitudes, condors, tigres, boas, chats sauvages, caïmans, ce n’est pas en eux que l’on doit voir les plus grands obstacles à la

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1863.