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vertèbres : pas de membres, pas de sternum, rien qui puisse fixer un terme à son développement.

On a vu que le chat sauvage était un des ennemis les plus acharnés du serpent. Un autre adversaire non moins redoutable est le lagarto (lézard). Cet animal, qui atteint d’assez fortes proportions, est armé d’une queue très flexible. Il ne rencontre pas une cobra sans l’attaquer et lui livrer un combat d’où il sort toujours victorieux. Sa tactique est des plus simples. Dès qu’il aperçoit son ennemi, il s’arrête immobile. Celui-ci hésite d’abord, puis, reprenant courage, s’avance en rampant, dardant sa double langue et dressant de temps à autre sa tête plate comme pour calculer la distance. Au moment où il s’apprête à s’élancer, le lagarto, prenant tout à coup l’offensive, pirouette rapidement sur lui-même et fait décrire à sa queue une courbe qui, avec la force d’un coup de fouet, brise l’épine dorsale du serpent. Si le lézard se sent mordu, il quitte le champ de bataille et se glisse aussitôt dans les fourrés, où il mâche quelques herbes qu’il connaît instinctivement comme antidote du venin. C’est, dit-on, en suivant ses traces que les nègres et les Indiens sont arrivés à connaître les plantes renommées contre la morsure des serpens.

Les inondations diluviennes du solstice et surtout les incendies des forêts sont encore de puissantes causes de destruction pour cette race malfaisante. Telle est cependant la nature prolifique des reptiles que, malgré tant d’élémens et d’ennemis qui les poursuivent jusque dans leurs retraites, ils pullulent sur tout le continent. Les grandes espèces seules semblent se retirer, comme on l’a déjà dit, partout où disparaissent les forêts, et se confiner dans les vastes solitudes de l’intérieur. Le même fait se reproduit pour tous les grands animaux en quelque lieu que l’homme pose le pied. Le froid n’est pas l’ennemi du serpent, ainsi qu’on pourrait le croire, car on trouve certaines espèces des plus dangereuses, comme le serpent à sonnettes, jusque dans les contrées montueuses où l’hiver n’est pas moins rigoureux que dans les Alpes. Aussi ne peut-on s’expliquer la rareté des accidens qui se produisent sur les plantations que par la nature craintive du reptile, qui le porte à fuir au moindre bruit. Il faut qu’il soit pressé par la faim pour qu’il fasse preuve de hardiesse et prenne l’offensive. Encore le voit-on d’ordinaire pousser très loin la prudence et choisir habilement son heure : c’est ainsi que dans les battues que l’on fait à travers bois il trouve souvent moyen de dîner aux dépens des chasseurs. Il n’est pas un braconnier dans toute l’Amérique du Sud qui n’ait à vous parler de ses rencontres fortuites avec ce terrible voisin. Ces histoires, dépouillées de tout le luxe des variantes, peuvent se réduire à ceci :