Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

macaco barbado (singe barbu) à cause d’une espèce de barbe qui distingue le mâle, les singes d’Amérique sont de petite taille. Aussi ne font-ils jamais volte-face devant les chasseurs, comme dans certaines contrées, pour leur envoyer une pluie de projectiles. Quelques-uns de ces animaux sont même d’une petitesse extrême. Un jour on m’en apporta un qu’on venait de prendre dans les bois : c’était un ouistiti à pinceau qui n’arrivait pas à la grosseur du poing. Au premier abord, je crus avoir affaire à une espèce nouvelle à cause d’un petit bourrelet qu’il portait autour du cou. En examinant de plus près, je découvris un tout petit singe de la grosseur du doigt, qui de ses petites mains se cramponnait au cou de sa mère. Je ne saurais rendre l’impression que j’éprouvai. La pauvre mère était cruellement blessée, au côté, et, malgré tout le soin que j’en pris, elle mourut le lendemain. Le petit ne lui survécut que quelques heures.

Comme ses congénères de l’ancien monde, le singe d’Amérique ne peut supporter les brumes de l’Océan. Il meurt phthisique dans nos climats froids et humides. À mon retour en Europe, j’emportais une douzaine de ouistitis que j’avais achetés avant de m’embarquer. Tout alla bien jusqu’aux tropiques ; ils faisaient la joie de l’équipage en grimpant tout le long du jour aux cordages les plus élevés. Aux Açores, ils commencèrent à perdre de leur gaîté ; peu à peu leur nombre diminua, et il n’en restait plus un seul quand nous arrivâmes à la hauteur des côtes d’Europe.

Le jaguar (tigre d’Amérique) exerce dans les parcs de bœufs, de chevaux et de moutons les mêmes ravages que le singe dans les champs de canne et de maïs. Moins courageux ou moins avide de sang que son aîné de l’ancien monde, il est rare qu’il attaque l’homme. Un nègre de la province de Minas m’a raconté que, revenant de la chasse un dimanche, il aperçut tout à coup à dix pas de lui, sur la lisière de la forêt, au milieu de l’étroit chemin, une onça (jaguar) qui le regardait fixement, accroupie sur un tronc d’arbre. La situation était critique pour le pauvre chasseur. Son fusil déchargé n’était plus qu’une arme inutile dans ses mains, et d’un autre côté il eût été dangereux de reculer. Un moment l’idée lui vint de jeter au tigre le singe qu’il venait de tuer et de prendre la fuite à la faveur de cette diversion, mais ce gibier représentait le dîner de sa famille, et le manque de munitions ne lui permettait pas de se remettre en chasse. Il prit alors le parti de braver les deux jets de flamme que dardaient les yeux braqués sur lui et de continuer sa marche en obliquant toutefois, afin de maintenir une distance respectueuse. Ce sang-froid et cette marche oblique imposèrent à l’animal. Il faut peut-être ajouter qu’il était très probablement repu.