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quand il arrive dans un champ de maïs ; mais, après s’être bien repu, ce filho da… coupe autant d’épis qu’il peut, forme une espèce de chapelet en nouant entre elles les feuilles qui recouvrent le grain, le passe à son cou et va le porter à sa famille. D’une nature méfiante, il est rare qu’il s’aventure seul dans ses razzias : ordinairement c’est par troupes qu’il envahit les plantations. Un chef choisi parmi les doyens de la tribu marche à la tête, tandis que les plus jeunes sont placés en vedettes sur les points isolés qui dominent les approches. Flairent-ils un danger, la sentinelle pousse un petit cri, et aussitôt la bande de disparaître dans la direction opposée. Cette habileté du macaco à éviter les poursuites du chasseur et à déjouer ses stratagèmes lui a valu auprès du nègre une haute réputation d’intelligence et de malice.

Cependant, malgré sa terreur superstitieuse à l’égard du singe, le noir ne se fait pas faute de l’occire toutes les fois qu’il en trouve l’occasion. Il se procure ainsi le double avantage de détruire un ennemi malfaisant et de se régaler d’une viande excellente, car, au dire de tous les connaisseurs, rien de plus tendre que la chair de ces animaux. C’est le dimanche ordinairement, son seul jour de repos, que le nègre prend contre eux sa revanche. Il va s’embusquer sur leur passage présumé, et attend plusieurs heures, s’il le faut, dans l’immobilité la plus complète, que sa proie apparaisse ; mais, comme il a affaire à un ennemi très rusé, il lui arrive souvent de ne rapporter à sa hutte qu’un simple tatou, dont la chair du reste n’est pas à dédaigner. Les chasseurs malheureux attribuent leur peu de succès le dimanche à certaine connaissance de la période hebdomadaire que l’expérience aurait donnée au singe, et qui le rend ce jour-là encore plus réservé que de coutume. Peut-être sont-ils dans le vrai : on a remarqué des faits analogues parmi les chiens, dont l’intelligence est notoirement inférieure à celle des quadrumanes.

Les fazendeiros ne partagent pas à un si haut degré la haine du nègre contre le singe, bien qu’ils aient aussi à souffrir de ses déprédations dans les champs de canne et de maïs. Il est vrai qu’ils ont dans leurs étables et dans leurs basses-cours de quoi oublier la chair du macaco. Ils se contentent de l’apprivoiser quand ils le prennent vivant. Le ouistiti, surtout le ouistiti à pinceau, est celui que j’ai rencontré le plus communément : il est rare qu’une varanda ne soit pas ornée d’un de ces hôtes. Les senhoras tiennent particulièrement à cette distraction, qui rompt un peu le vaste et profond ennui de la vie américaine. À la fin de chaque repas, elles lui apportent quelques friandises, qu’il vient réclamer lui-même pour peu que l’heure passe et qu’il soit libre de sa chaîne. Le soir, au crépuscule, un nègre de la maison, à qui il est spécialement