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devait arriver de sa province ; elle va épouser Décimus Brutus. Ne vous en étiez-vous jamais douté ? Depuis votre absence, il est arrivé bien des choses incroyables en ce genre. Servius Ocella n’aurait persuadé à personne qu’il était un homme à bonnes fortunes, s’il n’avait été pris deux fois sur le fait dans l’espace de trois jours. Vous me demanderez où ? C’est en vérité où je ne voudrais pas[1], mais je vous laisse quelque chose à savoir des autres. Il ne me déplaît pas qu’un proconsul victorieux aille demander à tout le monde avec quelle femme un homme a été surpris. »


Évidemment celui qui a écrit cette lettre charmante ne s’est jamais aussi bien converti que Cicéron le faisait croire, et il me semble que le jeune étourdi qui faisait du tapage la nuit dans les rues de Rome et l’amant de Clodia se retrouvent encore dans l’homme d’esprit qui raconte avec tant d’agrément ces aventures légères. On peut donc affirmer sans témérité, quoique à partir de ce moment sa vie privée nous échappe, qu’il n’a jamais entièrement renoncé aux dissipations de sa jeunesse, et que tout magistrat, tout homme politique qu’il était, il a continué jusqu’à la fin de mêler le plaisir aux affaires.


II

Mais Cælius n’a pas été seulement un héros d’aventures galantes, et il ne s’est pas contenté de la gloire frivole de donner le ton pour l’élégance des manières à la jeunesse de Rome. Il avait des qualités plus sérieuses. Grâce aux leçons de Cicéron, il était devenu vite un grand orateur. Peu de temps après qu’il se fut échappé de cette honnête tutelle, il avait débuté avec éclat dans une cause où il luttait contre Cicéron lui-même, et cette fois le disciple battit le maître. Depuis ce succès, sa réputation n’avait fait que grandir. Il y avait au Forum des orateurs que les gens de goût admiraient davantage, et dont ils jugeaient le talent plus parfait ; il n’y en avait pas qu’on redoutât plus que lui, tant il était vif dans ses attaques et amer dans ses railleries. Il excellait à saisir le ridicule de ses adversaires, et à faire sur eux en quelques mots de ces récits ironiques et cruels qu’on ne pouvait plus oublier. Nous en avons conservé un que Quintilien cite comme un modèle du genre et qui fait bien connaître le talent de ce terrible railleur. Il s’agit, dans ce morceau, de cet Antoine qui avait été le collègue de Cicéron dans son consulat, et qui, en dépit de tous les éloges que lui prodiguent les Catilinaires, n’était qu’un médiocre intrigant et un grossier débauché. Après avoir, selon l’usage, pillé la Macédoine qu’il gouvernait,

  1. Probablement avec quelque femme qu’aimait Cælius. Cicéron, en répondant à cette lettre, lui dit que le bruit de ses exploits est parvenu jusqu’au mont Taurus. Beaucoup supposent qu’il s’agit d’exploits amoureux.