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au-dessus des sombres masses de verdure. D’autres fois, lorsque le regard peut s’étendre au loin, ce sont des myriades de pitons aigus, tantôt épars çà et là dans la plaine, tantôt jetés les uns sur les autres, encore debout et menaçans comme au jour où ils sortirent impétueux des entrailles liquides du globe. Les arbres qui se pressent à la base de ces âpres montagnes ne paraissent plus alors que comme les mousses qui ramperaient à l’ombre d’une forêt de titans. Bientôt, si l’on continue à monter les étages successif qui forment les contre-forts de la cordillère, on n’aperçoit plus que de grands espaces recouverts seulement d’herbes ou de plantes rabougries. Le souffle brûlant du désert ou les vents glacés de la chaîne des Andes empêchent la vie de prendre racine dans ces immenses campos découverts ; mais que le moindre cours d’eau vienne à creuser un ravin pour protéger les graines et les féconder de ses chaudes haleines, et aussitôt de luxuriantes toutes rappelleront au voyageur qu’il se trouve toujours dans cette incomparable serre des tropiques.

Les plantes sorties de cette végétation, sont aussi variées que les fleurs et les feuilles qui les recouvrent. Tous les besoins immédiats de l’homme, divers produits même de l’industrie, semblent sortir spontanément du sol : pain, lait, beurre, fruits, parfums, poisons, cordages, vaisselle même, tout se trouve pêle-mêle dans la forêt vierge. Peut-être est-ce dans cette richesse qu’il faut chercher le secret de l’infériorité des tribus du désert. Est-il nécessaire de se livrer au labeur incessant de la civilisation, lorsque la nature se montre si complaisante et si prodigue ? Demandez plutôt à l’Indien. Désire-t-il une demeure : quelques instans lui suffisent pour se construire une hutte au pied d’un ipiriba, les feuilles lui servent de lit, les branches de parasol ; il trouve dans les fruits une excellente nourriture, et dans l’écorce un remède contre la fièvre. Le bois, aussi dur que le fer, lui fournit une massue pour les combats ou des instrumens d’agriculture. Si, fatigué de la vie sédentaire, il veut courir les fleuves et se livrer à la pêche, il n’a qu’à renverser l’édifice et à le creuser avec le feu : sa hutte devient alors pirogue. Avec la base d’un bambou, il construit une batterie de cuisine et un mobilier complet ; l’extrémité de la tige est un excellent régal ; les feuilles tissées donnent des vêtemens à sa femme, le bois sert à ses flèches ; les tiges creuses, liées ensemble, servent à improviser un radeau. Le même arbre devient, suivant le besoin, arsenal, vestiaire, restaurant et pharmacie.

Rien ne vaut une excursion dans la forêt en compagnie de quelque guide à qui ces richesses naturelles sont familières pour s’assurer qu’il n’y a rien d’exagéré dans les relations si souvent répétées à ce sujet. C’est ce que je reconnus moi-même. J’avais demandé un