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sous un rancho construit à la hâte avec quelques branchages, vos selles et vos manteaux. La nourriture se réduit d’abord au manioc et au feijâo (haricots) assaisonné d’un peu de lard, seuls comestibles que vous puissiez trouver dans ces solitudes. Lorsque ces provisions viennent à manquer à leur tour, vous n’avez plus que la chasse et les fruits que les hasards vous font rencontrer.

Pour que ces expéditions aventureuses soient menées à bonne fin et réalisent les espérances qu’on a conçues, il faut avant tout consulter la saison où l’on se trouve au moment du départ, et les saisons elles-mêmes dépendent, comme chacun sait, de la position astronomique des contrées que l’on doit parcourir. Dans la partie sud du Brésil, on peut dire en moyenne que l’époque la plus favorable s’étend de mai à octobre. Cette période n’est qu’un printemps perpétuel tel qu’il se montre aux plus beaux jours de la Provence et de l’Italie. Le froid de la nuit et les fraîcheurs matinales tempèrent les molles tiédeurs de la journée. Cette douce température provoque l’appétit, entretient la souplesse des organes et la vigueur du corps ; mais dès que le soleil reprend sa course australe, l’air devient irrespirable, le ciel embrasé. Les pluies continuelles qui tombent jusqu’en avril, vaporisées sans relâche par des rayons de feu, couvrent le sol d’une immense couche de vapeur épaisse qu’on ne peut mieux comparer qu’à l’atmosphère suffocante d’une salle de bains : l’intensité en est telle que les plus petites moisissures prennent des proportions gigantesques. Maintes fois il m’est arrivé, après deux ou trois jours de halte dans une fazenda, de trouver mes chaussures recouvertes de véritables végétations blanchâtres de plusieurs millimètres de long. Cette humidité a cependant un côté avantageux : elle corrige un peu l’excès de la chaleur. Dans les années de sécheresse, le thermomètre, n’étant plus arrêté dans sa course folle, atteint quelquefois, surtout dans les régions basses, des hauteurs sénégaliennes.

À cette atmosphère en ébullition viennent encore se joindre les effets électriques, qui atteignent aussi une puissance inconnue. Par suite d’une évaporation incessante et d’une végétation continuelle, peut-être aussi sous l’influence d’autres causes que nous ne connaissons pas encore, il s’accumule chaque jour à la surface du sol d’énormes masses de fluides. De là des orages périodiques dont la régularité est frappante. Pendant les six mois de cette saison pluvieuse, chaque journée s’annonce par une magnifique matinée. À neuf heures, le soleil est déjà brûlant, et, sauf les nègres des champs, tout le monde rentre, ou, s’il y a urgence, se munit d’un parasol. Vers midi, on voit poindre des nuages blanchâtres au sommet des collines. La direction en est tracée d’avance ; ils se forment sur les hautes cimes des ramifications des Andes, et, poussés par les vents