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plus libre qu’au milieu des inconnus de la place publique et cependant moins à son aise que dans l’intimité de la famille. Avant d’en venir là, il fallait attendre que Rome se fût civilisée et que la littérature y eût conquis sa place, ce qui n’arriva guère que vers le dernier siècle de la république. Et même il ne faut rien exagérer. Ce monde qui commence alors nous semble encore par momens bien grossier. Catulle nous apprend que dans ces agréables repas où on lisait de si belles poésies il y avait des convives qui volaient les serviettes. Les propos qu’on y tenait étaient souvent bien risqués, à en juger par certaines épigrammes du grand poète. Clodia, qui réunissait chez elle ces hommes d’esprit, avait de singuliers écarts de conduite. Les plaisirs distingués que recherche une femme du monde étaient loin de lui suffire, et elle finit par tomber dans des excès qui faisaient rougir ses anciens amis. Eux aussi, ces héros de la mode, dont on vantait partout le bon goût, qui parlaient avec tant d’agrément et faisaient des vers si tendres, ne se conduisaient guère mieux qu’elle et n’étaient pas beaucoup plus délicats. Ils eurent bien des reproches à se faire tant que dura leur liaison avec Clodia ; lorsqu’elle fut finie, ils commirent la faute impardonnable de ne pas respecter le passé et de manquer aux égards qu’on doit toujours à une femme qu’on a une fois aimée. Catulle déchira d’épigrammes grossières celle qui lui avait inspiré ses plus beaux vers. Cælius, faisant allusion au prix dont on payait les plus viles courtisanes, l’appela en plein Forum la femme au quart d’as (quadrantaria), et ce cruel surnom lui resta. On voit que cette société avait encore beaucoup de progrès à faire ; mais elle les fera vite, grâce à la monarchie qui va commencer. Tout change avec Auguste. Sous un régime nouveau, ces restes de grossièreté qui sentaient la vieille république disparaissent ; on se corrige si bien et l’on devient si difficile, que les délicats ne tardent pas à se moquer de Calvus et de Catulle, et que Plaute passe pour un barbare. On se polit, on se raffine, et en même temps on s’affadit. Un air de cour se répand sur la littérature galante, et le changement est si prompt qu’on ne met pas un quart de siècle pour tomber de Catulle à Ovide.

Les amours de Clodia et de Catulle finirent fort tristement. Clodia ne se piquait pas d’être fidèle, et elle ne justifiait que trop son amant quand il lui écrivait : « Les promesses que fait une femme, il faut les confier au vent ou les écrire sur l’eau qui s’enfuit. » Catulle, qui se savait trompé, s’en voulait de le souffrir. Il se raisonnait, il se grondait et ne se corrigeait pas. Malgré toute la peine qu’il prenait pour se donner du courage, l’amour était le plus fort. Après des luttes douloureuses qui déchiraient son cœur, il revenait triste et soumis aux pieds de celle qu’il ne pouvait s’empêcher parfois de mépriser, et qu’il aimait toujours. « J’aime et je hais, disait-