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l’ordre et la nature des fêtes. Dans quelques-unes de ces solennités, quand le soleil, par suite de son mouvement annuel, s’élevait sur l’horizon, les aréoïs célébraient l’arrivée des dieux ; dans d’autres, quand le soleil s’abaissait, ils pleuraient le départ des mêmes dieux pour le séjour des morts. À Tahiti, dont le climat est peu variable, les plaisirs ne cessaient guère ; mais aux Marquises, où l’institution semble avoir conservé davantage ses caractères primitifs, les aréoïs prenaient le deuil à l’équinoxe d’automne, cessaient toute cérémonie publique, et se retiraient chez eux pour pleurer l’absence d’Oro. Ils ne reparaissaient et ne recommençaient leurs fêtes qu’à l’équinoxe du printemps[1].

Les fêtes, les mystères célébrés par les aréoïs faisaient partie du culte public. Ils n’étaient pourtant pas ce culte lui-même, pas plus que la doctrine des initiés n’était certainement la religion de tous. Celle-ci était très remarquable et constituait une mythologie fort compliquée.

Même avant Mœrenhout, initié par un séjour prolongé dans l’Océanie à bien des détails ignorés jusqu’à lui, plusieurs voyageurs avaient déjà remarqué que dans toute la Polynésie on reconnaissait une divinité dont le nom, identique partout, ne variait que par suite des nécessités du dialecte. Taaroa, Tangaroa, était regardé à peu près universellement comme le chef et le père de tous les autres dieux[2]. Sans doute de vulgaire n’allait guère au-delà ; mais les hommes éclairés, les initiés, s’en faisaient une idée plus haute, comme le prouve le début du chant cosmogonique obtenu, après des années d’insistance, par Mœrenhout d’un de ces harepo (promeneurs de nuit) à qui étaient confiées toutes les traditions nationales. Voici ce passage, aussi important que curieux :

« Il était : Taaroa était son nom ; il se tenait dans le vide. Point de terre, point de ciel, point d’hommes. Taaroa appelle, mais rien ne lui répond, et, seul existant, il se change en l’univers. Les pivots sont Taaroa, les rochers sont Taaroa, les sables sont Taaroa. C’est ainsi que lui-même s’est nommé. Taaroa est la clarté, il est le germe, il est la base ; il est l’incorruptible, le fort qui créa l’univers, l’univers grand et sacré, qui n’est que la coquille de Taaroa[3]. »

  1. Beaucoup de voyageurs ont parlé des aréoïs, mais ils n’ont guère vu de leurs institutions que ce qu’on en montrait au vulgaire. C’est à Mœrenhout que l’on doit presque tous les détails qui enlèvent à cette institution un peu de ce qu’elle a d’odieux.
  2. Dans les traditions cosmogoniques de la Nouvelle-Zélande, recueillies par sir George Gray, Tangaroa est seulement un des six premiers, dieux tous enfans de Rangi et de Papa, c’est-à-dire du Ciel et de la Terre (Polynesian Mythology). D’après Mœrenhout, ce serait là. une exception unique aux croyances universellement répandues dans tout le reste de la Polynésie.
  3. Le savant ethnologiste de l’expédition scientifique des États-Unis, M. Hale, s’appuyant sur un autre fragment du même chant recueilli par Mœrenhout, croit y trouver