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possible de ce développement intellectuel, le plus spontané peut-être que présente l’histoire de l’esprit humain ?

L’éducation, dans ses rapports avec les sciences et les arts, était bien moins avancée chez les Polynésiens que l’éducation littéraire. Leur numération était décimale et se prêtait par conséquent à des combinaisons étendues ; ils connaissaient les vents et désignaient certaines étoiles par des noms particuliers ; ils avaient aussi un calendrier fort rudimentaire, mais suffisant pour une société aussi simple ; leurs connaissances en géographie, bien plus étendues qu’on ne le croit d’ordinaire, n’embrassaient pourtant pas la Polynésie tout entière et ne s’étendaient pas plus loin. Voilà pour la science. Les beaux-arts étaient peut-être encore plus rudimentaires. Les intervalles musicaux étaient différens des nôtres et identiques de Tahiti à la Nouvelle-Zélande ; mais les chants d’amour ou de deuil n’étaient remarquables que par leur monotonie, et les chants guerriers seuls respiraient une certaine énergie. Les statues, parfois colossales comme celles de l’île de Pâques, n’étaient que d’informes ébauches, et le dessin n’avait pas dépassé l’arabesque et l’ornementation. Toutefois dans ce genre, et quand il s’agissait de tatouer une figure ou de ciseler un casse-tête, un aviron, une pirogue, les Polynésiens savaient montrer autant de régularité et de précision dans les lignes ; que de fini dans le travail : résultat d’autant plus remarquable qu’ils ne possédaient, on le sait, aucun métal.

En industrie, les Polynésiens n’allaient guère plus loin qu’en science. L’agriculture par exemple était chez eux à l’état d’enfance. On sait que le cocotier (haari) et l’arbre à pain (maïoré)[1] étaient leurs deux grands nourriciers, et tous deux viennent sans culture réelle. Les bananiers (féhi), dont ils possédaient plusieurs variétés, quelques légumes, tels que le taro[2] et l’igname (houhoui)[3], exigeaient plus de soins et les recevaient. Tous les voyageurs ont donné de justes éloges à l’excellent entretien des vergers, des jardins potagers ; mais on ne voit mentionné nulle part rien qui approche des canaux d’irrigation et des autres grands travaux de culture accomplis par les nègres de la Nouvelle-Calédonie, et M. de Rochas, à qui nous devons un livre des plus intéressans sur ces derniers, n’hésite pas à les placer, au moins au point de vue qui nous. occupe, bien au-dessus des Polynésiens.

Habitant en général des pays chauds, les Polynésiens n’avaient guère besoin de se vêtir. Aussi n’avaient-ils pas d’étoffes proprement

  1. Jaquier à feuilles découpées (artocarpus incisa.)
  2. Chou caraibe (caladium esculentum). Les Polynésiens connaissaient plusieurs variétés de cette plante, dont la racine est très féculente. Les principales portent les noms de jappi, mapoura et diwi (Lesson).
  3. Dioscorea alata.