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les excès et ne rougissant pas de les avouer, aimant et haïssant avec fureur, incapable de se gouverner et détestant toute contrainte, elle ne démentait pas cette grande et fière famille dont elle descendait, et jusque dans les vices la race se reconnaissait en elle. Dans un pays où l’on affichait le respect des vieux usages, dans cette terre classique du décorum (le mot et la chose sont romains), Clodia se faisait un plaisir de choquer les lois reçues ; elle sortait avec ses amis, elle se faisait accompagner par eux dans les jardins publics ou sur la voie Appienne, construite par son grand-aïeul. Elle abordait hardiment les gens qu’elle connaissait ; au lieu de baisser timidement les yeux, comme devait faire une matrone bien élevée, elle osait leur parler (Cicéron dit même qu’elle les embrassait quelquefois), et elle les invitait à ses repas. Les gens graves, posés, rigides, s’indignaient ; mais les jeunes gens, à qui ces hardiesses ne déplaisaient pas, étaient charmés, et ils allaient dîner chez Clodia.

Cælius i était alors à Rome un des jeunes gens à la mode. Il avait déjà une grandes réputation d’orateur ; on le redoutait pour la vivacité railleuse de sa parole. Il était courageux jusqu’à la témérité, toujours prêt à se lancer dans les entreprises les plus hasardeuses. Il dépensait sans compter, et traînait toujours derrière lui un cortège d’amis et de cliens. Peu de gens dansaient aussi bien que lui, personne ne le surpassait dans l’art de se mettre avec goût, et l’on citait dans Rome la beauté et la largeur de la bande de pourpre qui bordait sa toge. Toutes ces qualités, les sérieuses comme les futiles, étaient faites pour séduire Clodia. Le voisinage rendit entre eux la connaissance plus facile, et elle devint bientôt la maîtresse de Cælius.

La vie qu’ils menèrent alors, Cicéron, malgré sa réserve, permet de la deviner. Il parle à demi-mots de ces fêtes brillantes que Clodia donnait à son amant et à la jeunesse de Rome dans ses jardins des bords du Tibre ; mais c’est Baïes surtout qui fut, à ce qu’il semble, le théâtre de ces amours. Depuis quelque temps déjà, Baïes était devenu le rendez-vous ordinaire des élégans de Rome et de l’Italie. Les sources d’eaux chaudes qu’on y trouve en abondance servaient d’occasion ou de prétexte à ces réunions. Quelques malades qui s’y rendaient pour se guérir justifiaient une foule de gens bien portans, qui y venaient pour s’amuser. Le monde y affluait dès le mois d’avril, et pendant toute la belle saison il s’y nouait mille intrigues légères dont le bruit venait jusqu’à Rome, Les gens graves avaient grand soin qu’on ne les vît pas dans ce tourbillon, et plus tard Clodius accusa Cicéron comme d’un crime de l’avoir seulement traversé ; mais Cælius et Clodia ne tenaient pas à se cacher : aussi se livrèrent-ils sans contrainte à tous les plaisirs qu’on trouvait dans ce pays qu’Horace appelle le plus beau lieu du monde. Rome entière