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jusque dans leurs discours politiques[1] ; mais il ne faut pas se méprendre sur le sens de ces railleries et trop plaindre celles qui en sont l’objet. On ne les attaque ainsi que parce qu’on les redoute, et toutes ces plaisanteries sont moins des insultes que des précautions. Ces rudes soldats, ces paysans grossiers ont appris, en vivant près d’elles, combien elles ont l’esprit délié et entreprenant, et par combien d’endroits elles valent mieux qu’eux ; aussi se donnent-ils beaucoup de peine pour les cantonner dans leur ménage, et cela ne suffit pas encore pour les rassurer : il faut que dans le ménage même elles soient soumises et bridées. On affecte de croire et de dire que ce sont des êtres faibles et emportés (indomita animalia), incapables de se gouverner tout seuls, et l’on s’empresse de pourvoir à leur direction. On les tient, sous ce prétexte, dans une tutelle éternelle ; elles sont toujours sous la main de leur père, de leur frère ou de leur mari ; elles ne peuvent ni vendre, ni acheter, ni trafiquer, ni rien faire sans un conseil qui les assiste : en agissant ainsi, on prétend les protéger ; en réalité c’est soi-même qu’on protège contre elles. Caton, leur grand ennemi, l’avoue ingénument dans un moment de franchise. « Souvenez-vous, lui fait dire Tite-Live à propos de la loi Oppia, de tous ces règlemens qu’ont faits nos ancêtres pour soumettre les femmes à leurs maris. Tout enchaînées qu’elles sont, vous avez peine à les dominer. Qu’arrivera-t-il si vous leur rendez la liberté, si vous les laissez jouir des mêmes droits que vous ? Croyez-vous que vous pourrez alors en être les maîtres ? Le jour où elles deviendront vos égales, elles vous seront supérieures. » Ce jour arriva justement vers l’époque dont nous nous occupons. Au milieu de l’affaiblissement des anciens usages, les lois contre les femmes ne furent pas plus respectées que les autres. Cicéron dit que des jurisconsultes galans leur fournirent des moyens ingénieux pour s’en affranchir sans avoir l’air de les violer. En même temps on s’habituait à leur voir prendre une place plus importante dans la société et à les compter pour beaucoup dans le gouvernement de la république. Presque tous les hommes politiques d’alors sont dirigés par leurs femmes ou par leurs maîtresses. C’est pour cela que les innombrables galanteries de César passaient, aux yeux de bien des gens, pour une habileté profonde : on supposait

  1. Au temps des Gracques, le censeur Metellus s’exprimait ainsi dans un discours où il attaquait très vivement les célibataires : « Citoyens, si l’on pouvait vivre sans femmes, nous nous passerions tous de cet embarras (omnes ea molestia careremus) ; mais, puisque la nature a voulu qu’il fût aussi impossible de s’en passer qu’il est désagréable de vivre avec elles, sachons sacrifier les agrémens d’une vie si courte aux intérêts de la république, qui doit durer toujours. » Cette façon d’encourager les gens à se marier semblait apparemment très efficace, puisqu’au moment où l’on se mariait moins que jamais, Auguste crut devoir faire relire devant le peuple le discours du vieux Metellus.